Sénégal : d’une affaire privée à la révolution
Le 3 mars 2021, le leader de l’opposition au Sénégal, Ousmane Sonko, est arrêté pour « trouble à l’ordre public » après une accusation de viol. Une vague de colère monte, dénonçant les atteintes à la démocratie. Simple affaire ou étincelle ayant mis le feu aux poudres ? Quels sont les tenants et les aboutissants de ces événements majeurs pour l’avenir du pays ?
D’abord affaire privée qui a commencé en février 2021, l’affaire Sonko a pris de l’ampleur. L’intéressé dénonce un complot visant à l’écarter du pouvoir en vue de l’élection présidentielle de 2024. Chaos, guérillas urbaines, gaz lacrymogène échelonnent les différentes étapes de sa remise en liberté le 8 mars. Mais la poursuite des manifestations à Dakar et dans d’autres régions du pays révèle une exaspération populaire plus générale. En l’absence de réformes majeures, ces événements sont en effet le symptôme d’une instabilité durable. Ils illustrent un malaise social profond de nature à mettre fin à la présidence de Macky Sall (depuis 2012), en raison notamment de dysfonctionnements politiques et de faiblesses économiques.
Sur le plan politique, le pays n’a certes connu que de rares crises ces dernières années, mais les tensions sont latentes. D’une part, la démocratie sénégalaise est encore attachée à un fonctionnement électoraliste faute d’avoir évolué en une démocratie permanente, ancrée dans une gouvernance au profit de l’intérêt général. D’autre part, les institutions censées asseoir l’état de droit restent dépendantes du pouvoir en place, la suspension de la diffusion télévisée des images des manifestations pour apologie à la violence rappelant l’hyperpuissance de l’exécutif, par exemple.
Sur le plan économique, la présence massive de la jeunesse lors des protestations révèle la précarité, l’absence de perspective et le chômage qui pèse sur cette partie de la population (38,8 % des 15-34 ans sont sans emploi en 2018, selon les données officielles). De plus, la croissance est fortement impactée par la crise de la Covid-19, passant de 6 % en 2019 à 1 % en 2020, d’après le Fonds monétaire international (FMI). L’ampleur de ce ralentissement économique est lourde de conséquences. Les tensions sociales déjà présentes s’en trouvent renforcées, et les progrès réalisés ces dix dernières années en matière de développement ralentis. Ainsi, dans une enquête publiée en septembre 2020, 85% des ménages interrogés reconnaissent une baisse de leurs revenus, tandis que le manque d’argent est évoqué comme la première raison de non-accès aux soins médicaux (1).
Enfin, le décalage entre l’importance de la croissance démographique sénégalaise et la faiblesse des investissements dans le système d’éducation, la formation et la mise en place de mécanismes de participation citoyenne à la gouvernance renforcent les fragilités économiques conjoncturelles. En l’absence de changements profonds, les malaises de la société sénégalaise soulignés par les manifestations du mois de mars font donc planer le risque, si ce n’est d’une résurgence récurrente des tensions à chaque échéance électorale à court terme, du moins d’une mise à mal de la stabilité du pays à plus long terme. (1) ANSD/DGPPE, « Covid-19 : Suivi de l’impact sur le bien-être des ménages », Bulletin no 1, septembre 2020.