La ’Ndrangheta, la mafia la plus puissante ?
En janvier 2020, l’italie et Interpol ont lancé une opération mondiale contre la ’Ndrangheta calabraise, présente dans 32 pays, dont 17 européens. Paradoxalement moins connue que Cosa Nostra en Sicile ou la Camorra dans la région napolitaine, la discrète ’Ndrangheta est pourtant considérée comme la plus dangereuse et riche des mafias par les forces de l’ordre italiennes, spécialisée dans le contrôle de marchés publics, de trafic d’armes et de cocaïne.
La ’Ndrangheta trouve son origine dans la seconde moitié du XIXE siècle en Calabre, région à la pointe de la « Botte » à la fois la plus pauvre et l’une des plus éloignées du pouvoir central. Son nom viendrait du grec andrangathos (« homme brave ») et la première mention de cette organisation remonte à 1888 dans une lettre anonyme au préfet de la région de Calabre. Ce groupe mafieux n’a, depuis, cessé de se développer en diversifiant ses activités sur un territoire de plus en plus vaste. Le chiffre d’affaires annuel de la ’Ndrangheta, difficile à établir, est estimé à près de 60 milliards d’euros, soit 2,8 % du PIB italien.
Sa structure organisationnelle tire sa force d’un réseau maillé par des clans, les ’Ndrina, chacun reposant sur une base familiale autonome et disposant d’un fort ancrage territorial, avec un respect des règles et des limites communes. Contrairement à d’autres mafias mieux connues, elle compte peu de repentis ou de collaborateurs de justice en son sein en raison de l’importance des liens familiaux, d’où sa relative discrétion malgré sa prédominance et, par conséquent, le manque de connaissances à son sujet.
DES ACTIVITÉS… LÉGALES
La particularité de la ’Ndrangheta est d’être une mafia internationalisée et entrepreneuriale, qui, depuis des décennies, réinvestit l’argent d’activités illégales dans le bâtiment, l’hôtellerie ou les villages touristiques. La criminalité de cette organisation a été remarquée dans les années 1960 à 1980 par l’enlèvement de riches victimes (industriels, enfants de familles bourgeoises) – 150 au total – restituées contre rançons sous la menace de mutilations. Une autre source de revenus initiale est le racket des entreprises et des commerçants du territoire qu’elle contrôle.
Si cette activité – le « pizzo » – est devenue secondaire dans les profits de la ’Ndrangheta, elle perdure, car elle lui permet de renforcer sa souveraineté locale et d’enfermer des non-mafieux dans le réseau clientéliste mafieux (1).
Le trafic de drogue, en particulier de cocaïne dont elle détient le quasi-monopole en Europe, représente l’activité illégale la plus rentable de l’organisation, générant près des deux tiers de ses revenus illicites, contre un quart pour les autres : racket, usure, trafic de déchets, trafic d’armes et prostitution. La ’Ndrangheta ne cherche pas la confrontation directe avec l’état italien et préfère asseoir son emprise territoriale par l’infiltration de la politique sur le plan local en utilisant des pratiques de collusion et de corruption, notamment pour détourner des marchés publics.
Une partie des revenus générés par ces activités est réinvestie dans l’économie légale, ce qui permet à l’organisation d’engranger des sommes supplémentaires tout en renforçant son assise par le développement économique local dans une région déshéritée. Une bonne part des investissements s’effectue également dans le nord riche de l’italie, en particulier en Lombardie et au Piémont, dans tous les secteurs de l’économie, dont le bâtiment, la restauration et la finance.
UN RÉSEAU MONDIAL TISSÉ AUTOUR DE LA DIASPORA CALABRAISE
La métaphore la plus souvent utilisée pour représenter l’activité et le réseau des mafias à l’international est généralement celle de la pieuvre, dont le corps est en Italie et dont les tentacules s’étendent sur tous les continents. Cette image convient parfaitement à la ’Ndrangheta qui fonctionne comme une multinationale et compterait, selon les estimations des procureurs italiens, 20000 membres dans le monde en s’appuyant sur la forte et ancienne émigration calabraise. Cette nécessité de se déployer dès les années 1980 est liée au développement de ses activités dans le narcotrafic, en premier lieu en Amérique latine, où l’organisation possède plusieurs cellules locales pour expédier la drogue vers l’europe, le Canada et l’australie. L’europe centrale et l’allemagne sont particulièrement prisées et investies pour la mise en place de centres opérationnels européens. Les services de police italiens ont mené depuis plusieurs années, et avec un succès relatif, de vastes coups de filet contre la ’Ndrangheta. Les derniers en date ont mobilisé des milliers de carabiniers et permis l’arrestation de 334 suspects en Italie et en Europe le 19 décembre 2019 et de 63 autres le 28 mai 2020. L’italie cherche à intensifier la pression contre l’organisation mafieuse en finançant, depuis le 30 janvier 2020, le projet Interpol « Coopération contre la ’Ndrangheta » pour tenter de la démanteler à l’échelle européenne et mondiale. Mais bien qu’elle soit membre fondateur de l’union européenne, elle reste l’un des pays les plus corrompus et les actes de corruption et d’intimidation empêchent les investissements en Calabre, ce qui pousse les jeunes, touchés par le chômage, à se tourner vers la mafia pour trouver du travail. L’organisation cherche même à tirer profit de l’impact de la crise de la Covid-19 sur le secteur du tourisme par l’achat d’entreprises au bord de la faillite ou l’offre de prêts aux restaurants, hôtels ou artisans en difficulté.
NOTE
(1) Clotilde Champeyrache, « L’économie mafieuse : entre principe de territorialité et extraterritorialité », in Hérodote no 151, 4e trimestre 2013, p. 83-101.