Birmanie : déjà la fin d’une jeune démocratie ?
Le 1er février 2021, la junte militaire a renversé le gouvernement birman et pris le pouvoir à Naypyidaw, la capitale. Ce jour-là, le Parlement choisi démocratiquement trois mois plus tôt devait se réunir pour la première fois.
Les généraux, qui ont dirigé le pays de 1962 à 2011, reprennent ainsi le contrôle après avoir partagé la gouvernance avec des législateurs élus pendant une décennie. Toutefois, le peuple a opté pour la contestation et la résistance.
Le coup d’état et la détention de la chef du gouvernement de facto Aung San Suu Kyi, du président Win Myint et d’autres hauts responsables politiques de la Ligue nationale pour la démocratie (LND), le plus grand parti du pays, interviennent plusieurs mois après les élections législatives du 8 novembre 2020, remportées par la LND. Le mouvement d’aung San Suu Kyi renforçait sa majorité absolue à la Chambre des représentants (258 sièges sur 440) et à celle des nationalités (138 sur 224), actant la défaite du Parti de l’union pour la solidarité et le développement (PUSD), formation nationaliste et conservatrice qui ne réunit que 26 et 7 élus. Depuis, les militaires n’ont eu de cesse de contester les résultats en invoquant une fraude généralisée. De leur côté, les observateurs internationaux et la commission électorale birmane ont déclaré que le scrutin s’était déroulé sans irrégularités évidentes. À la suite du putsch, la loi martiale et l’état d’urgence ont été proclamés pour un an, le Parlement a été dissous et les pleins pouvoirs ont été confiés au commandant en chef de l’armée, Min Aung Hlaing, président du « Conseil administratif d’état », composé de 11 membres, tous de hauts gradés.
DES RÉFORMES FRAGILES
Ce coup d’état met fin à près de dix années de démocratie menée par la figure tutélaire d’aung San Suu Kyi, cofondatrice de la LND en 1988. Le parti remporte les législatives de 1990 avant que celles-ci ne soient annulées par le gouvernement militaire ; la « dame de Rangoun » se trouve déjà en résidence surveillée. Si, bénéficiant d’un fort soutien international, elle se voit attribuer le prix Nobel de la paix en 1991, elle n’est vraiment libérée qu’en 2010. L’année suivante, alors que la Birmanie est sous le joug militaire depuis plus de cinq décennies, la junte se démet de ses fonctions au profit d’un gouvernement semi-civil dirigé par l’un de ses anciens membres, Thein Sein. Il engage une série de réformes démocratiques conduisant, en 2012, l’union européenne (UE) et les États-unis à suspendre dans un cas et à lever dans l’autre l’embargo qu’ils imposaient au pays depuis 1997. Si les élections de 2015 consacrent l’alternance politique en portant au pouvoir Aung San Suu Kyi – elle est ministre des Affaires étrangères et « conseillère spéciale de l’état » à compter de 2016 –, le poids de la hiérarchie militaire est resté prépondérant dans les faits. Le Tatmadaw – nom officiel des forces armées – a conservé une influence considérable, notamment le contrôle des ministères de la Défense, des Affaires frontalières et de l’intérieur. La Constitution de 2008, toujours en vigueur, réserve un quart des sièges du Parlement à l’armée, ce qui lui donne un droit de veto effectif sur tout amendement constitutionnel et lui permet de révoquer l’assemblée pour préserver la stabilité nationale ; un pouvoir dont les généraux ont usé en février 2021 pour démettre le gouvernement élu sur la base d’accusations de fraudes. Aung San Suu Kyi n’est jamais parvenue à faire adopter les réformes constitutionnelles qu’elle avait promises afin de réduire l’emprise des militaires. Si cette impuissance a participé à éroder son image chez une partie de la population birmane, c’est sa défense de l’armée au sujet du génocide de 2017 contre les Rohingyas, minorité musulmane de Rakhine, dans l’ouest du pays, qui lui a valu les critiques de la communauté internationale. Globalement, son image reste néanmoins positive chez elle. Les observateurs des élections de novembre 2020 s’attendaient à une fracture électorale entre les régions bamares, peuplées par l’ethnie principale du pays de confession bouddhiste, et les États où résident les minorités arakanaise, môn, karen, shan, kachin et chin. Mais la LND a engrangé de bons résultats dans une grande partie de ces territoires.
LE RISQUE D’EMBRASEMENT
Quelques jours après la prise de pouvoir par la junte, d’importantes manifestations prodémocratie ont eu lieu, notamment à Rangoun, la capitale économique, malgré la coupure d’internet et la présence renforcée de l’armée dans les rues. En deux mois plus de 500 civils ont été tués et environ 3 000 arrêtés. En mars 2021, la vingtaine de groupes de rebelles constitués sur une base ethnique que compte la Birmanie sont entrés dans la contestation. Deux d’entre eux, l’union nationale karen (KNU), dans l’est et le sud du pays, et l’armée pour l’indépendance kachin (KIA), dans le nord-est, ont lancé plusieurs attaques contre les forces de sécurité ; le cessez-le-feu en vigueur depuis 2010 est fortement menacé tandis que se profile une guerre civile.
Si les États-unis et le Royaume-uni multiplient les sanctions envers la Birmanie, la Chine a empêché le Conseil de sécurité des Nations unies d’adopter une déclaration commune condamnant le putsch et refuse de qualifier la prise de pouvoir par les militaires de coup d’état. Au-delà du principe de non-ingérence établi de longue date en matière de politique étrangère par la République populaire, Pékin a beaucoup d’intérêts en jeu. Depuis que le président Xi Jinping (depuis 2013) a lancé l’initiative des nouvelles routes de la soie, qui vise notamment à augmenter la connectivité entre la Chine et l’eurasie, la Birmanie est un pays clé dans son positionnement stratégique.