Wuhan : l’émergence d’une nouvelle métropole chinoise
Wuhan, autrefois conurbation de trois bourgs, est la capitale de la province du Hubei, avec 11,2 millions d’habitants (2019). Avant d’être connu comme le foyer d’origine de la pandémie de Covid-19, ce pôle de l’économie industrielle socialiste se plaisait à se nommer la « Chicago de l’est » et visait une place de « ville mondiale de troisième rang » (1).
C’est un renouveau pour une ville qui était dans l’angle mort du développement chinois : concernée ni par les grandes politiques nationales d’ouverture de la façade littorale des années 1990 ni par celles du développement de l’ouest en 2000, Wuhan vit à l’ombre de la métropole shanghaienne. Encombrée par un patrimoine industriel vieillissant et ne disposant pas de moyens financiers suffisants pour mailler un territoire municipal vaste et morcelé par le réseau des rivières et des lacs, la municipalité échoue à structurer l’étalement urbain des années 1990 et 2000. Wuhan a néanmoins des atouts : sa position de hub de transport national, des partenariats économiques mis en place dans les années 1990 et de nombreuses universités en font un acteur privilégié pour les échanges internationaux.
UN DÉVELOPPEMENT INTENSE
Le plan métropolitain de Wuhan se met en place au milieu des années 2000 et les discours s’ajustent concernant le positionnement de la ville dans le territoire national. Du point de vue du développement régional, elle bénéficie de la politique stratégique du « corridor économique du Yangzi ». Son rôle comme un hub de transport en sort renforcé. Par ailleurs, Wuhan domine le
réseau urbain du Hubei : concentrant 20% de la population et plus d’un tiers du PIB de la province, elle est au coeur d’une aire d’influence englobant la ville et les cités limitrophes. La convergence de ces grandes politiques nationales ouvre une période de développement accéléré pour Wuhan, dont la construction du métro en est l’un des symptômes. Or la municipalité wuhanaise n’engage pas seulement une transition métropolitaine, mais plusieurs transitions successives et parfois concomitantes du fait de la rapidité de la croissance urbaine et de la transition économique. Dans ce contexte, les grands projets permettent l’accélération de ces transitions et la réorganisation de l’espace urbain. Les projets situés dans les trois noyaux urbains historiques ont une vocation patrimoniale et culturelle, ceux des secteurs péricentraux servent de centres d’affaires. Au-delà du troisième périphérique, des villes nouvelles, relais des bourgs-centres des arrondissements éloignés, sont planifiées et certaines sont en cours de construction. Face à ces développements inégaux, fragmentation et polycentrisme caractérisent cette nouvelle organisation spatiale.
STRATIFICATIONS SOCIALES ET EXCLUSION
Entre un espace métropolitain en constitution et l’émergence de nouvelles centralités, le cadre de la vie urbaine locale se recompose autour de secteurs résidentiels qui se substituent aux anciennes cités ouvrières de la Chine industrielle des années 1950-1970. Les choix résidentiels et les pratiques de proximité renforcent une vie de quartier à cheval entre les relations de voisinage et l’anonymat du mode de vie urbain. Ces changements ne sont toutefois pas homogènes, et les espaces du secteur résidentiel s’intègrent de manière disparate à la transformation métropolitaine. La connexion aux réseaux de transport, la période et les modes d’urbanisation ainsi que la présence de centralités commerciales ou économiques influencent les profils sociaux et les stratégies de mobilité des populations des secteurs, tandis que les actions de renouvellement urbain accélèrent les processus de stratification sociale et la dissolution des anciennes communautés résidentielles ouvrières.
Dans le contexte de Wuhan, la possibilité de bénéficier à la fois de la dissolution des unités de travail et d’un mode de vie urbain moderne devient un facteur important de distinction sociale. Ainsi, les résidants non originaires de la ville ou anciennement paysans n’étant pas propriétaires d’un bien ou ayant peu de famille à Wuhan sont-ils souvent dans l’incapacité de négocier les effets du renouvellement urbain, et notamment les conditions d’expropriation et de relogement. Ils sont repoussés toujours plus loin de la zone urbaine centrale.
À cette exclusion spatiale répond aussi une exclusion économique qui s’étend à l’ensemble du foyer. Si certains habitants peuvent utiliser leur réseau ou une résidence secondaire dans la municipalité pour profiter de la carte scolaire et fréquenter les bons établissements, à l’inverse, le maintien du « livret de résidence » (hukou), qui lie l’accès aux services urbains au lieu d’origine, empêche les résidants n’en possédant pas à Wuhan d’aller dans des centres de santé et d’éducation de qualité. Cela freine leur implantation durable.
NOTE
(1) Georgina André, « Wuhan, d’un centre industriel secondaire à une “Chicago de l’est” », in Géoconfluences, 12 novembre 2020.