Darfour : un conflit sans fin
Depuis février 2003, le Darfour est le théâtre d’une guerre civile, plongeant ce territoire de l’ouest du Soudan dans une grave crise humanitaire. La destitution du dictateur Omar al-bachir (au pouvoir depuis 1989) en avril 2019 a un temps laissé entrevoir une possible pacification de la situation. Mais la mission des Casques bleus déployés par L’ONU sur place a pris fin le 31 décembre 2020 sans être renouvelée, et les violences n’ont jamais cessé.
Le Darfour, territoire aux ressources naturelles limitées – à l’exception de gisements de pétrole exploités par des entreprises chinoises – a toujours été marginalisé par le pouvoir central de Khartoum. Pour résumer à grands traits les caractéristiques socio-ethniques des quelque 9 millions de personnes qui peuplent cet espace, bien qu’elles soient toutes de confession musulmane, elles se divisent entre des tribus « africaines » sédentaires (les Zaghawas) pratiquant l’agriculture dans le nord et le centre du Darfour, et des communautés « arabisées » d’éleveurs nomades dans le sud.
Si des tensions entre ces deux groupes ont toujours existé, leurs différends ont été exacerbés dans les années 1980, notamment du fait de la multiplication des sécheresses au Sahel. Face à la désertification des sols, les éleveurs, soutenus par le régime de Khartoum, exigèrent un meilleur accès aux zones fertiles. Cette situation engendra des conflits fonciers avec les agriculteurs, revendiquant pour leur part un partage plus équitable des richesses et des fonctions politiques locales et nationales.
INTERVENTION HUMANITAIRE
C’est dans ce contexte tendu que sont nées les milices arabes Janjawid en 1988. Durant la décennie qui a suivi l’arrivée d’omar albachir, l’exécutif choisit de collaborer avec ces bandes armées pour asseoir son pouvoir sur l’ouest du Soudan. En 2003, lorsque plusieurs groupes rebelles s’insurgent contre le gouvernement central, ce dernier fait des Janjawid la pierre angulaire de sa politique de la terre brûlée, visant surtout les populations civiles non arabes du Darfour. En 2014, Khartoum va jusqu’à rattacher officiellement ces milices à son Service de sécurité national, en les rebaptisant Forces de soutien rapide (FSR). Au moins 300 000 personnes seraient mortes des conséquences du conflit au Darfour, principalement lors des atrocités commises en 2003 et 2004. Au cours des années suivantes, viols, pillages et razzias continuent d’être monnaie courante dans la région. Ces violences forcent 200 000 personnes à fuir au Tchad, tandis que 3,5 millions de déplacés s’entassent dans des camps situés au Darfour (2,5 millions) et à Khartoum (1 million).
Dans les années 2000, la zone devient le plus grand théâtre d’intervention humanitaire au monde, avec pas moins de 10000 volontaires présents sur place et opérant au sein d’une centaine d’agences différentes. Le montant de l’aide internationale est alors estimé à 2 milliards de dollars par an. En 2007, après de longues négociations avec le gouvernement soudanais, L’ONU et l’union africaine (UA) réussissent à déployer une mission conjointe au Darfour, la MINUAD, dont le rôle principal se résume à assurer la sécurité des civils et des humanitaires.
DES ESPOIRS BALAYÉS
En 2018, un mouvement de contestation populaire s’empare du Soudan. Dans un pays où l’opinion publique a longtemps semblé indifférente au sort du Darfour, le sentiment d’unité nationale qui émane de ce soulèvement conduit les manifestants à scander des slogans tels que « Nous sommes tous le Darfour ». Le premier article de la « Déclaration pour la liberté et le changement » – programme politique esquissé par les leaders de la contestation – affirme quant à lui souhaiter trouver des solutions pour mettre un terme aux guerres civiles qui paralysent le pays depuis des décennies.
En avril 2019, la rue conduit finalement l’armée à destituer Omar al-bachir, pour instaurer un régime de transition composé de civils et de militaires : le Conseil de souveraineté. Les nouvelles autorités de Khartoum semblent alors déterminées à élaborer des solutions pour pacifier durablement l’ouest du Soudan. Cette volonté d’apaisement se conclut en août 2020 par la signature d’un accord de paix avec les principaux groupes rebelles darfouriens, suivi d’une déclaration publique du Conseil de souveraineté affirmant vouloir coopérer avec la Cour pénale internationale pour juger plusieurs personnes impliquées dans les massacres au Darfour, dont l’ancien dictateur.
Mais plusieurs éléments ternissent ce tableau, à commencer par la nomination de Mohamed Hamdan Daglo, ancien commandant des Janjawid puis des FSR, comme numéro deux du gouvernement de transition. Cette situation inquiète jusque dans les rangs de certaines tribus arabes darfouriennes, qui s’estiment trahies par l’accord de paix que leur ancien chef a accepté de signer avec les rebelles. Il en va de même de la communauté internationale, qui ne comprend pas la précipitation avec laquelle le Conseil de souveraineté a exigé le départ des Casques bleus de la MINUAD d’ici au 30 juin 2021, après plusieurs mois marqués par une forte recrudescence des conflits intercommunautaires au Darfour-occidental. Le 16 janvier 2021, une attaque perpétrée par des tribus arabes soutenues par des mercenaires des FSR a visé la population d’un camp de déplacés de Geneina. Ces violences, qui ont causé la mort de 160 personnes, ont ravivé de fortes tensions dans la région. Pour les observateurs internationaux, le risque de voir le Darfour rebasculer dans une guerre ouverte n’a jamais été aussi grand.