Arabie saoudite - États-unis : au bord de la rupture ?
Dès son arrivée à la Maison Blanche en janvier 2021, Joe Biden a affirmé vouloir « recalibrer » la relation des États-unis avec l’arabie saoudite, un allié historique au Moyen-orient, mais dont l’homme fort, le prince héritier Mohamed ben Salman, est considéré par la CIA comme le commanditaire du meurtre, le 2 octobre 2018, du journaliste et opposant saoudien Jamal Khashoggi. Une erreur de trop pouvant conduire au divorce entre les deux puissances ?
Si les États-unis entretiennent des relations avec l’arabie saoudite dès les années 1930, c’est en février 1945 que leur alliance est scellée, lors du « pacte du Quincy », du nom du croiseur américain sur lequel se rencontrent le président Franklin Roosevelt (19331945) et le roi Abdelaziz ibn Saoud (1932-1953), sur le grand lac Amer (canal de Suez) en Égypte.
Leur accord prévoit l’octroi d’une aide militaire américaine à Riyad en contrepartie d’un accès à un pétrole saoudien bon marché pour les Étatsunis. En 1972, le montant alloué par Washington au budget de la défense de son allié s’élevait à 312 millions de dollars. Cette somme n’a cessé de croître par la suite, pour atteindre 90 milliards de dollars durant la période 2010-2015.
D’UN FRONT COMMUN AUX DISSENSIONS
Pendant la guerre froide, les Al-saoud et les gouvernements américains successifs s’inquiètent de la propagation du communisme au Moyenorient. Ainsi, lors du conflit en Afghanistan (1979-1989), l’arabie saoudite et les États-unis accordent un soutien militaro-financier au
mouvement de résistance antisoviétique des moudjahidines ; plusieurs Saoudiens partent faire le djihad, dont Oussama ben Laden (1957-2011). Cette alliance s’exprime de manière plus tangible à l’occasion de la guerre du Golfe (1990-1991). À la suite de l’invasion du Koweït par l’irak, Riyad craint de faire l’objet d’une offensive du régime de Saddam Hussein (19792003). En réponse à cette menace, le président George Bush (1989-1993) met sur pied une coalition : le Pentagone déploie alors 10 000 soldats sur le sol saoudien, opérant sur plusieurs bases militaires depuis lesquelles sont lancées des offensives contre l’irak. Cette présence alimente un antiaméricanisme au sein de la population saoudienne.
En dépit de cette entente a priori sans faille, les relations entre les deux alliés ont régulièrement été marquées de périodes de tensions. En 1973, lors de la guerre du Kippour, les États-unis interviennent en faveur d’israël dans le conflit qui l’oppose à l’égypte et à la Syrie, soutenues par l’arabie saoudite. Cet appui est vécu comme un affront par Riyad, qui riposte en faisant augmenter le prix du baril de pétrole. Cette situation provoque un terrible choc qui sonne la fin des Trente Glorieuses. La question palestinienne a également constitué un point d’achoppement entre les deux diplomaties. En finançant des prêcheurs et des écoles coraniques prônant un islam rigoriste, le régime saoudien a été accusé d’avoir contribué à l’émergence d’al-qaïda. Les attentats du 11 septembre 2001 ont envenimé les liens entre les deux États : 15 des 19 terroristes décédés étaient saoudiens. L’armée américaine attend la fin de la guerre en Irak de 2003 pour se retirer d’arabie saoudite, même si des instructeurs restent présents (474 au 31 décembre 2020). La présidence Obama (2009-2017) a été une période de tensions, notamment sur la question des Droits de l’homme, des « printemps arabes » et du rapprochement entre les États-unis et l’iran dans le cadre des négociations sur le nucléaire.
VERS LE DIVORCE ?
Le 2 octobre 2018, Jamal Khashoggi est assassiné à Istanbul. Mohamed ben Salman est accusé d’être impliqué. Proche du prince héritier, le président Donald Trump (2017-2021) ferme les yeux, l’arabie saoudite étant un client d’armes majeur. Mais, en février 2021, dans une volonté de rupture avec la politique étrangère de son prédécesseur, Joe Biden demande la déclassification du rapport des renseignements présentant Mohamed ben Salman comme le principal commanditaire du meurtre du journaliste. Le nouveau président américain affirme vouloir rompre le dialogue avec le prince héritier en ne s’adressant qu’au roi Salman (depuis 2015) et en retirant son soutien à la guerre au Yémen.
Mais Washington ne prend aucune sanction directe contre Mohamed ben Salman, ne réussissant pas à le marginaliser durablement, tant ce dernier occupe une position stratégique sur les scènes politiques saoudienne et moyen-orientale, en particulier dans le rapprochement entre les Saoudiens et Israël. Sur le plan énergétique, si les États-unis sont le premier producteur mondial de pétrole, leur consommation de produits raffinés est à ce point énergivore (20 millions de barils par jour) que Washington n’est pas en mesure de se passer des hydrocarbures saoudiens. Enfin, un trop grand affaiblissement des liens entre les deux alliés serait susceptible de conduire à un rapprochement de l’arabie saoudite avec la Russie et la Chine (premier partenaire commercial du royaume), un scénario qui s’avérerait préjudiciable pour les États-unis d’un point de vue stratégique et économique.