The First 54 Years – An Abbreviated Manual for Military Occupation : un récit de la colonisation israélienne
depuis les années 1980, l’israélien avi mograbi réalise des films sur l’occupation des territoires palestiniens par israël. présenté à plusieurs festivals en 2021, The First 54 Years – An Abbreviated Manual for Military Occupation est le plus incisif sur le sujet, par sa forme percutante et son ton cynique.
Ce documentaire de 110 minutes alterne plusieurs types de récits. Le premier prend la forme d’images recueillies par l’ONG israélienne Breaking the Silence, qui permet aux soldats et aux réservistes de Tsahal de décrire de manière confidentielle et anonyme les nombreuses formes d’appropriation de terres et de maisons, d’intimidations, de tortures et de meurtres de civils palestiniens. Comme les dizaines de personnes interrogées face caméra, Avi Mograbi se prête au jeu ; il accueille les spectateurs dans son salon et leur donne un aperçu du fonctionnement d’une occupation colonialiste, de la logique qui sous-tend les pratiques qu’elle produit et les modes de pensée qu’il faut appliquer dans différentes situations pour la maintenir. Ainsi, le second type de récit est mené par le réalisateur lui-même (cf. photo ci-contre), parlant devant la caméra en tant que « guide pour ce manuel abrégé d’occupation militaire », avec Israël comme « cas paradigmatique ». Avi Mograbi reçoit l’aide d’un autre narrateur en voix off qui dresse une chronologie historique : depuis le début de l’occupation en 1967, en passant par la croissance des colonies, la première Intifada (1987-1993) et la seconde (2000-2005), les accords d’Oslo (1993), le retrait israélien de la bande de Gaza (2005), jusqu’à nos jours. Ces fils conducteurs sont complétés par des images d’archives provenant de sources variées : si à aucun moment la voix de Palestiniens n’est directement entendue, ces éléments leur donnent une place centrale.
HÉRITAGE MILITAIRE
Les témoignages de 38 personnes ayant réalisé leur service militaire dans les Territoires palestiniens occupés depuis 1967 sont le coeur, l’essence du documentaire. Ils détaillent de manière concrète, sans pathos, comment, de génération en génération, le métier et les rouages du contrôle militaire ont été transmis. La force de ce film réside dans celle de ces témoignages : il ne s’agit pas de mettre en scène des états d’âme, des opinions, des regrets ou des justifications. Face à la caméra, les générations de soldats ne décrivent pas leurs pensées ou leurs positions par rapport à leurs actions ou à la politique d’Israël, ils ne font que témoigner d’agissements, détailler leurs activités quotidiennes, les décomposer. Ainsi, le documentaire met le doigt sur les tâches ayant permis à l’occupation d’exister et qui la font perdurer. Le plus déroutant pour le spectateur est de constater que si aucune de ces activités n’est fondamentale en elle-même pour la persistance de l’occupation, elles constituent, mises ensemble, l’essence de celle-ci. On pourrait dire de ce film qu’il est studieux. Avi Mograbi, en critique de longue date de la politique du gouvernement israélien, laisse les faits parler d’eux-mêmes pour éviter les démonstrations d’émotion brute : de ce récit tranchant émane une colère froide.