Le Lesotho, petit royaume face au chaos politique et social
Enclavé en Afrique du Sud, le Lesotho est un pays méconnu et marginal en Afrique australe et l’un des plus pauvres du monde. La vie politique y est depuis de nombreuses décennies soumise à une grande instabilité et la sujétion économique au puissant voisin sud-africain reste forte. Ses importantes ressources hydrauliques attisent les convoitises de Pretoria.
Petit royaume de 30 355 kilomètres carrés et 2,12 millions d’habitants (2019), le Lesotho est situé (à plus de 1 500 mètres d’altitude) sur les hauteurs du Drakensberg, chaîne de montagnes qui prend en écharpe le sud-est de l’Afrique australe. Ces hautes terres ont constitué au XIXe siècle le refuge de l’ethnie sotho qui fuyait les raids zoulous puis les incursions des Boers (colons d’origine néerlandaise), avant de se placer sous la protection des Britanniques en 1868. Le royaume des Sothos (Basutoland) est alors demeuré un protectorat jusqu’à l’indépendance en 1966 (le pays prend le nom de Lesotho), enclavé dans l’Union sud-africaine créée en 1910 et devenue République d’Afrique du Sud en 1961.
INSTABILITÉ CHRONIQUE
Depuis les premières élections législatives de 1965, le pays est le théâtre de crises poli- tiques et institutionnelles récurrentes. Le régime autoritaire et dictatorial de Joseph Leabua Jonathan (1965-1986) a été suivi d’une longue période où se sont succédé coups d’État (quatre entre 1986 et 1994), assassinats de hauts responsables politiques, contestation de résultats électoraux, abdi- cation et exil du monarque Moshoeshoe II (1966-1990 et 1995-1996), lutte fratricide entre les progressistes et les conservateurs, et même une intervention armée de l’Afrique du Sud (1998). Malgré la Constitution de 1993 qui a établi le multipartisme, la démocratie lesothienne reste fragile, soumise à la pression de l’armée ou de la police. Cette situation perdure depuis le début du XXIe siècle, avec l’affrontement des deux hommes forts du pays : Pakalitha Mosisili (Premier ministre de 1998 à 2012 puis de 2015 à 2017), du Lesotho Congress for
Democracy (progressiste), et Tom Thabane (Premier ministre de 2012 à 2015 puis de 2017 à 2020), du All Basotho Convention (conservateur). Ce dernier a même été contraint à la démission au printemps 2020, soupçonné d’avoir commandité l’assassinat de son ex-épouse en 2017 avec l’aide… de sa nouvelle compagne. Sous le regard distant du roi Letsie III (depuis 1996), qui ne dispose que d’un rôle protocolaire, ce scandale politico-criminalo-conjugal n’a trouvé son issue institutionnelle qu’avec la média- tion de la Communauté de développement d’Afrique australe (SADC, en anglais) et des autorités de Pretoria.
DES RESSOURCES HYDRAULIQUES
L’Afrique du Sud veille tout particulièrement à ce que le Lesotho ne tombe pas dans le chaos, car ce dernier constitue un château d’eau vital et stratégique pour le géant économique du continent africain. Depuis 1986 et la mise en place du Lesotho Highlands Water Project, les importantes ressources hydrauliques du royaume sont détournées vers sa grande voisine. La construction des barrages de Katse (1997) et de Mohale (2001), dans le bassin du fleuve Senqu, permet d’alimenter en électricité et en eau les métropoles de Johannesburg et Pretoria. L’édification de nouveaux barrages a toutefois été retardée en raison des troubles politiques que traverse le Lesotho depuis quatre décennies. En outre, la population lesothienne est de plus en plus critique à l’égard de ce projet et s’estime spoliée de la principale richesse du pays. La déliquescence politique s’est accompagnée des maux classiques de la kleptocratie, du clientélisme et de la corruption (83e sur 180 sur l’index 2020 de Transparency
International). Les troubles politiques occultent la misère économique et sociale d’un pays qui dispose d’un PIB estimé à 2,4 milliards de dollars en 2020 par le Fonds monétaire international (FMI). L’économie rurale (les campagnes rassemblent les trois quarts de la population) est médiocre et souffre de la spoliation de la ressource hydraulique. L’exploitation minière et l’industrie textile d’exportation (mohair) vers les États-Unis restent en retrait. Quant au tourisme, la crise liée à la Covid-19 a fait fuir la clientèle sud-africaine des stations de ski du pays. Dans ces conditions, les jeunes actifs sont contraints de migrer, d’autant que l’insécurité alimentaire est forte (le Lesotho ne dispose que de 11% de terres arables et l’indépendance alimentaire n’est que de 20 %). Les transferts financiers de la diaspora contribuent au quart du PIB. Si le pays a été relativement épargné par la Covid-19 (quelque 11000 cas et 330 morts mi-juin 2021), c’est aussi l’un des États d’Afrique et du monde où le taux de prévalence du Sida est le plus élevé (22,8% des 15-49 ans en 2019). D’autres indicateurs sociodémographiques sont parmi les plus médiocres. En 2019, l’espérance de vie ne dépasse pas 55 ans, le taux de chômage est de 23,5% et la moitié des habitants vit sous le seuil de pauvreté. Dans les campagnes, 20 % de la population a un accès à l’électricité et un quart survit grâce à l’aide alimentaire internationale. La tâche de Moeketsi Majoro (All Basotho Convention), Premier ministre depuis le 20 mai 2020, est considérable. Issu d’une nouvelle génération de politiciens, économiste, il doit à la fois restaurer la démocratie et sortir le Lesotho de la spirale de la pauvreté.