Somalie : un État sans État dans la Corne de l’Afrique
Le processus institutionnel d’une Somalie unie semble voué à l’échec. En avril 2021, le président Mohamed Abdullahi Mohamed (depuis 2017) a prolongé son mandat de deux ans avant de devoir faire marche arrière, tandis que des législatives se sont tenues le 31 mai 2021 au Somaliland, État sécessionniste du nord. Quelles sont les causes du chaos chronique que connaît ce pays depuis l’indépendance en 1960 ?
En septembre 2020, Mohamed Abdullahi Mohamed et les dirigeants des six États fédéraux tombent d’accord pour organiser l’élection présidentielle de 2021. Mais querelles politiques et désaccords repoussent la tenue du scrutin. En avril, le président signe une loi prolongeant son mandat de deux ans. Colère de l’opposition et affrontements en découlent. Le 1er mai, Mohamed Abdullahi Mohamed annule sa décision et charge le Premier ministre, Mohamed Hussein Roble (depuis 2020), d’organiser des élections dont la date n’est pas communiquée. Ces événements ont mis à nu l’échec du modèle institutionnel fédéral mis en place en 2012 et les faiblesses de l’État central.
UN TERRITOIRE MORCELÉ
La crise somalienne résulte en partie des dynamiques politico-institutionnelles créées par la Constitution de 2012. Cette dernière instaure un gouvernement fédéral distribuant le pouvoir entre le gouvernement central, les États fédéraux et les citoyens. Mais cette organisation ne résorbe pas la fragmentation du pays entre les clans. Ces derniers sont des acteurs politiques à part entière et possèdent leur propre territoire. Leurs velléités et intérêts se retrouvent sous-représentés, conduisant à des oppositions profondes. Ainsi, le blocage du système électoral peut être vu comme l’échec de ce modèle fédéral. De plus, la réaction des autorités fédérées contre la politique de centralisation de Mohamed Abdullahi Mohamed explique l’interruption du processus. En appuyant des présidents à la tête de certains États fédéraux, il gardait le contrôle sur les territoires. Mais cette politique n’a pas réglé la question du partage équitable des ressources. L’organisation des élections a alors été l’occasion de manifester des volontés d’autonomie. Par ailleurs, l’État somalien exerce peu de contrôle sur son territoire. D’une part, le pays n’a jamais connu de réelle unité à cause de l’organisation clanique. Une période coloniale européenne brutale a renforcé le morcellement du territoire en créant de profondes différences entre le nord et le sud. Les Britanniques (18841960), au nord, ont peu développé les infrastructures et l’activité économique, au contraire des Italiens (1889-1936) au sud. La différence entre les deux régions perdure après 1960. En 1991, le Somaliland déclare son indépendance, sans être reconnu par la communauté internationale ; en 1998, le Jubaland et le Puntland leur autonomie. Ces régions se différencient à plusieurs égards. Le niveau de violence y est moindre ; le Somaliland est relativement stable en raison de son modèle institutionnel, avec l’intégration de la loi clanique, deux Chambres parlementaires, un président élu (Muse Bihi Abdi, depuis 2017). Le 31 mai 2021, un scrutin législatif s’est tenu dans le calme et de façon libre. Le Puntland est moins stable, les clans y sont moins unis et les difficultés économiques plus importantes. Ses seuls atouts sont le port de Boosaaso et une route principale le reliant à la ville de Galcaio. La population en majorité pastorale et nomade subit régulièrement la sécheresse. La réunification impossible du territoire de la Somalie pèse sur les possibles avancées politiques et économiques, et ce sans compter la présence de groupes terroristes.
PRÉSENCE DJIHADISTE
Malgré l’affaiblissement depuis 2011 du mouvement des Shebabs, affilié à AlQaïda, la situation sécuritaire en Somalie reste volatile. L’ONU recense 775 incidents armés en mai, juin et juillet 2020, dont des attaques du groupe terroriste (1). Ce dernier s’est formé à partir de 2006, lors de la dispersion des tribunaux islamiques après l’intervention armée de l’Éthiopie. Ses actions se sont alors tournées contre la présence éthiopienne et le gouvernement fédéral. Il bénéficie par ailleurs de l’appui de certains clans (les Hawiye/Murusade ou les Hawiye/Duduble). En 2011, le groupe prend de l’ampleur, contrôlant pratiquement l’ensemble du sud du pays et la capitale, Mogadiscio. Il est repoussé dans les régions rurales avec l’intervention armée du Kenya, sans disparaître complètement. En avril 2015, il perpètre l’attentat de l’université kényane de Garissa (150 morts). Par ailleurs, le groupe garde des sources de financement importantes (2). Les Shebabs représentent néanmoins un ennemi secondaire pour les autorités centrales, préoccupant davantage la communauté internationale. Ainsi, après avoir acté le retrait de 700 soldats américains déployés en Somalie en janvier 2021, le Pentagone réfléchit à de nouvelles missions sur un terrain déjà soumis à des attaques ciblées de drones.
NOTES
(1) Conseil de sécurité de l’ONU, « Situation in Somalia », 13 août 2020. (2) Hiraal Institute, The AS Finance System, juillet 2018.