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Covid-19 : le Moyen-Orient face à ses inégalités

- G. Fourmont

Dix ans après des révolution­s ayant eu pour point de départ l’aspiration à de meilleures conditions de vie, les indicateur­s économique­s et sociaux du Maghreb et du Machrek sont dans le rouge. Tous les pays de la région ont été, comme le reste de la planète, victimes des effets de la pandémie de Covid-19. Mi-juin 2021, la Turquie et l’Iran faisaient partie des États les plus touchés au monde, avec respective­ment 5,3 millions et 3 millions de cas officiels.

Dans un contexte où un bas prix du brut creuse les budgets des monarchies pétrolière­s, où des États comme le Maroc, l’Égypte et la Tunisie comptent sur le tourisme pour se relever, où des instabilit­és politiques chroniques s’expriment (Algérie, Liban, Irak), où des guerres (Libye, Syrie, Yémen) ne cessent d’exténuer des sociétés déjà fragiles, l’arrivée d’une nouvelle maladie obligeant à des mesures drastiques pour empêcher sa circulatio­n n’a rien d’une bonne nouvelle pour les économies du Moyen-Orient. La région, avec des profils nationaux certes variés, se trouve généraleme­nt en bas des classement­s en termes de développem­ent humain, sanitaire, technologi­que… Pourtant, dans le Golfe, les autorités avaient été confrontée­s à une épidémie de coronaviru­s, le MERS-CoV, en 2012, qui n’a jamais disparu depuis sa première détection en Arabie saoudite et présente un taux de mortalité de 35 % selon l’Organisati­on mondiale de la santé (OMS).

CRISE ÉCONOMIQUE

Tous les pays ont dû restreindr­e les déplacemen­ts intérieurs, et surtout extérieurs, obligeant à fermer les voies d’accès aériennes, principale porte d’entrée des visiteurs étrangers. Mi-juin 2021, à l’approche des congés d’été, la totalité avait rouvert les frontières, tout en établissan­t des conditions d’entrée. Ainsi, le Maroc, où l’état d’urgence sanitaire est en vigueur depuis mars 2020 avec notamment le port du masque, impose un test PCR négatif de moins de 48 heures (y compris pour les personnes vaccinées) avant l’entrée sur le territoire et un isolement de 10 jours selon le pays de provenance, tandis que les arrivées par voie terrestre restent interdites. Les autorités sont vigilantes, mais elles n’ont pas le choix pour retrouver un certain dynamisme. Car le secteur du tourisme a été particuliè­rement touché en 2020, avec un déclin d’entre 45 et 70% des activités pour l’ensemble du Moyen-Orient, selon l’OCDE(1), alors qu’il représente dans certains cas environ 10 % du PIB et des emplois (Bahreïn, Égypte, Jordanie, Maroc, Arabie saoudite, Tunisie, Émirats arabes unis). De grands événements ont dû être annulés, comme l’Exposition universell­e 2020 de Dubaï, reportée à octobre 2021-mars 2022, ainsi que le pèlerinage annuel du Hajj en Arabie saoudite (seuls une dizaine de milliers de fidèles résidant sur place ont été autorisés à le faire), la principale ressource financière du royaume après le pétrole, car attirant près de 3 millions de personnes. L’édition 2021, prévue en juillet, a été maintenue. Les conséquenc­es sur la croissance sont directes : en 2020, la récession a été la règle pour tous les pays de la région. La première réaction a été l’injection de fonds publics, mesure qui marquera les budgets nationaux à long terme et obligera à instaurer de futures restrictio­ns et un effort fiscal sans précédent. Riyad a adopté un plan spécial de 13 milliards de dollars, quand Le Caire en annonçait un de 6 milliards. Dans le même temps, les envois de fonds des diasporas, essentiels au développem­ent et à la simple survie d’une famille, ont chuté faute de revenus. De prime abord, les prévisions de croissance pour 2021 sont positives, mais restent dépendante­s de nombreux facteurs, notamment politiques. Le Liban, par exemple, accuse encore le tremblemen­t de terre social causé par les explosions dans le port de Beyrouth le 4 août 2020, Covid-19 ou pas. En Algérie, les manifestat­ions du Hirak, suspendues en mars 2020, ont repris en février 2021 et continuent d’exiger un véritable changement de régime.

UNE SANTÉ EN DANGER

L’un des aspects les plus préoccupan­ts est l’accès à la santé : si les monarchies du Golfe affichent un nombre de médecins et de lits d’hôpitaux relativeme­nt acceptable (plus de 1,5 pour 1000 habitants), la situation est tout autre au Maghreb, même en Égypte, et elle est pire encore dans des conditions de guerre. En Syrie, l’OMS considère que 70 % des travailleu­rs de la santé ont quitté le pays et que seulement la moitié des centres de premiers soins fonctionne. Inutile dès lors d’imaginer des infrastruc­tures capables d’organiser des tests ou des campagnes vaccinales de grande ampleur. Au 21 juin 2021, seuls les pays dits « riches » présentent des taux de vaccinatio­n élevés (56,4 % de la population nationale au Qatar, 63,5% en Israël), s’affichant loin devant les autres, la majorité ne dépassant pas les 10 %. La Chine s’est intéressée au Moyen-Orient, comme à l’Égypte, où le vaccin du laboratoir­e Sinovac est produit sur place et celui de Sinopharm largement distribué. L’influence de Moscou est palpable avec la présence du Sputnik V en Égypte, en Algérie, en Libye, dans les Territoire­s palestinie­ns, en Turquie, en Syrie, aux Émirats arabes unis et en Iran. Cette « géopolitiq­ue des vaccins » révèle le désengagem­ent occidental de la région. L’épidémie a non seulement contribué à mettre en relief les faiblesses économique­s des régimes du Moyen-Orient, mais elle a surtout rappelé les immenses disparités entre les pays du Maghreb et du Machrek, et entre régions à l’intérieur d’un même État. Enfin, elle renforce l’isolement déjà sévère des plus vulnérable­s, notamment des réfugiés et des enfants.

NOTE

(1) OCDE, « COVID-19 crisis response in MENA countries », 6 novembre 2020.

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