Le carton, enjeu inattendu de la pandémie de Covid-19
La crise sanitaire mondiale due à l’épidémie de coronavirus a des conséquences insoupçonnées. Parmi elles, l’augmentation du nombre de cartons d’emballage liée à l’essor des services de livraison et d’achat sur Internet à la suite de la fermeture des restaurants ou des commerces dits non essentiels. Si la France, principal acteur européen du carton, a ainsi vu son activité augmenter, elle doit gérer l’épineuse question du recyclage.
La pandémie de Covid-19 a accentué l’explosion de la vente de produits sur le Web ; en France, elle a augmenté de 32 % en 2020 par rapport à 2019. Et qui dit achat en ligne, dit colis en carton. De ce point de vue, la France a su tirer son épingle du jeu, étant déjà en 2019 en troisième position européenne pour la production d’emballages, derrière l’Allemagne et l’Italie, et en dixième place sur la scène mondiale, avec 18,3 milliards d’euros. Le secteur emploie 79 450 personnes (2017). Si le plastique domine cette production, le carton-papier accapare un tiers du chiffre d’affaires et plus de 11 500 travailleurs. Les échanges commerciaux se font majoritairement à l’intérieur de l’Union européenne (UE) : les importations françaises de carton (7,3 milliards d’euros) proviennent à 82 % des autres États membres, devant la Chine, quand ils représentent 79 % des exportations (5,6 milliards). Malgré ces chiffres, la crise sanitaire n’a pas uniformément profité au secteur.
UN MARCHÉ EN TROMPE-L’OEIL
Lors du confinement du printemps 2020 (17 mars-10 mai), un vent de panique a soufflé sur l’industrie : sept des 84 usines de papier et carton du pays étaient à l’arrêt pour des raisons sanitaires. La question du caractère essentiel a été soulevée, et la production a repris, tant arrêter l’emballage signifiait mettre le secteur en danger, aucun produit ne sortant d’usine sans avoir été emballé. Malgré cela, le carton a subi les effets négatifs de la crise. En Europe, le secteur (réuni au sein de la Confédération des industries européennes de papier ou CEPI) a vu sa production baisser de 7% en 2019 et de 5% en 2020. Seuls les papiers et cartons d’hygiène (+ 1,9 %) et les emballages ont augmenté (+ 2,1 % par rapport à 2019). La production de boîtes en carton ondulé a enregistré une hausse de 3,3 %. Comment expliquer ces chiffres quand Smurfit Kappa ou DS Smith, leaders du marché français, ont vu leur activité bondir de 20 % ? Car si le confinement puis la fermeture des restaurants et magasins non essentiels ont favorisé la production d’emballages alimentaires (cartons, sacs en papier, gobelets, pailles, etc.) et la livraison de colis (au point qu’à Noël 2020,
les acteurs du secteur s’inquiétaient de ne pas pouvoir fournir tout le monde), les principaux acheteurs demeurent les industriels, qui, eux, ont vu leurs commandes chuter. Par exemple, le milieu agroalimentaire, le plus gourmand en carton (56% de la production française), a dû revoir à la baisse sa demande, provoquant une baisse des prix des cartons plats de près de 25 %. De plus, malgré une production importante en volume (7,3 millions de tonnes en 2019), la balance commerciale de la France demeure déficitaire (elle importe plus de cartons qu’elle n’en exporte). Pour cause : la production ne suffit pas à la consommation (8,5 millions de tonnes), alors qu’elle doit dans le même temps fournir ses acheteurs européens, mais aussi américains ou chinois, pourtant leaders sur le marché. Conséquence, le nombre d’emballages sur le sol national augmente, et avec lui la question de la gestion des déchets.
LE RECYCLAGE, UN DÉFI EUROPÉEN
La vente en ligne possède une autre limite : l’espace vide. Moins souple et adaptable que l’emballage plastique, le colis de livraison comporte 43 % de vide, dont les pertes causées dans le transport sont estimées à 46 milliards de dollars et 122 millions de tonnes de CO2 émises. Les transactions en ligne généreraient 5 à 7 fois plus de carton par dollar de marchandise que le commerce traditionnel. Le volume risque de devenir problématique. En France, en 2019, 6,7 millions de tonnes de carton ont été collectées. Parmi elles, 79 % ont été recyclées par l’industrie française, un bon élève au regard de la moyenne européenne (71%). Mais en raison de la pandémie, les chiffres grimpent. Paprec, numéro un du recyclage en France, a enregistré en 2020 une hausse de 10 à 15% de sa collecte par rapport à une année « normale ». Si le carton reste moins polluant et plus facilement recyclable que le plastique, donner une seconde vie aux 9 millions de tonnes de carton consommées chaque année par les Français (soit environ 130 kilogrammes par habitant) demeure un défi. D’autant que les capacités de stockage et de recyclage de la France sont limitées. Le tropplein était jusqu’alors envoyé en Chine pour y être traité. Problème : face à son propre défi environnemental, Pékin a fermé ses frontières aux déchets étrangers en 2017, saturant de facto le marché européen. Depuis, c’est plus de 1,5 million de tonnes de cartons usagés par an que la France doit écouler, à l’aide de ses partenaires européens, eux aussi dans l’embarras. L’UE va devoir se réinventer afin de fournir à la République populaire les cartons « propres » dont elle a besoin pour emballer les produits que lui commandent ses partenaires asiatiques et… européens.