L’ascension des Asiatiques aux États-Unis
Les propos du président Donald Trump (2017-2021), qualifiant la Covid-19 de « virus chinois », ou les attaques contre trois salons de massage dans la région d’Atlanta le 16 mars 2021 ayant causé la mort de six femmes d’origine asiatique interviennent dans un contexte d’augmentation des violences et des crimes contre une communauté parfois vue comme une minorité « modèle ». Ce ne sont que des manifestations récentes de préjugés anciens.
Sur le plan démographique, la croissance de la minorité asiatique est la plus dynamique, passant de 10,46 millions en 2000 à 18,9 millions de personnes (ou de 11,9 millions à 23,2 millions, selon la méthode de calcul) en 2019, soit + 81 % (1). En comparaison, la population hispanique a augmenté de 70 % (60,57 millions en 2019), celle des natifs d’Hawaii et des autres îles du Pacifique de 61 % (596 000), quand la communauté noire n’a grimpé que de 20 % (41,14 millions) et que la population blanche est restée inchangée (197,31 millions). Les AsioAméricains se distinguent pour d’autres raisons. Leur principale caractéristique est leur hétérogénéité (2). Ils sont ainsi majoritairement nés à l’étranger (57 %) et sont originaires d’une vingtaine de pays, dont aucun ne constitue une majorité. Trois groupes nationaux se détachent – les Chinois (23 %), les Indiens (20 %) et les Philippins (18 %) –, mais les Vietnamiens (9 %), les Coréens (8 %) et les Japonais (6 %) ont une importance non négligeable.
DES DISCRIMINATIONS LÉGALES
C’est l’expérience commune de la discrimination institutionnelle qui unifie les AsioAméricains. Dès leur arrivée en Californie au milieu du XIXe siècle, les Chinois participant à la « ruée vers l’or » furent la cible de lois discriminatoires, comme la taxe sur les mineurs étrangers (1850) exigeant d’eux – mais pas des Irlandais ou des Allemands – de payer un impôt de 20 dollars par mois. Les efforts de restriction de l’immigration sont donc anciens et continus, et de nouvelles lois ont accueilli les groupes au fur et à mesure de leur arrivée. Le Page Act de 1875 bloque l’immigration des femmes chinoises – en théorie dans le cadre de la lutte contre la prostitution. À partir de 1882, il est interdit aux travailleurs chinois d’entrer sur le sol américain, tandis qu’une disposition similaire (Gentlemen’s Agreement) cible les Japonais à compter de 1907. En 1917, une loi étend ces restrictions aux autres régions de la péninsule Arabique, d’Inde et d’Asie du Sud-Est. Seules les Philippines, en tant que territoire sous contrôle américain (1898-1946), ne sont pas concernées. De nombreuses normes, quotas et discriminations institutionnelles ont visé les Asiatiques, ralentissant leur accès au territoire et à la citoyenneté. Leur expérience a également souffert des situations politiques extérieures. L’attaque de la base navale américaine de Pearl Harbor (Hawaii) le 7 décembre 1941 a entraîné de violentes représailles contre les Japonais, dont 110 000 installés aux États-Unis furent internés dans des camps. Au début de la guerre froide, surtout durant le maccarthysme, les soupçons de proximité avec des régimes communistes aggravent les préjugés. La situation s’améliore petit à petit, avec notamment, en 1965, des quotas sur l’immigration. Ces discriminations ont participé à la construction d’un sentiment identitaire asio-américain, alors que les membres de cette minorité ne partagent pas les mêmes cultures, langues, parcours migratoires ou caractéristiques sociodémographiques. À titre d’exemple, si 49 % des Indiens possèdent un diplôme de troisième cycle, ce n’est le cas que de 29% des Chinois et de 10% des Philippins. Sur le plan électoral, il faut nuancer l’idée que les Asiatiques se mobilisent moins. Si l’on regarde la part des votants parmi les personnes majeures, on s’aperçoit qu’ils se rendent autant, voire plus aux urnes que les Hispaniques. Ainsi, lors de l’élection présidentielle de novembre 2020, 59% des citoyens asio-américains de plus de 18 ans ont voté (dix points de plus qu’en 2016), contre 54% des Hispaniques, 63% des Noirs et 71 % des Blancs (3).
QUEL ENGAGEMENT POLITIQUE ?
Mais les Asiatiques ne constituent que 4% de l’électorat total. En outre, bien que près de la moitié de cette population vive dans l’ouest du pays, la dilution de l’électorat sur le sol national ou son infériorité numérique par rapport aux Hispaniques réduisent son influence politique et sa capacité à élire des représentants communautaires. Du fait de leur diversité, les Asiatiques ne vivent souvent pas sur les mêmes territoires. D’une part, les découpages électoraux leur sont défavorables et, d’autre part, les candidats asiatiques ne reçoivent pas systématiquement les faveurs de tous les Asiatiques audelà de leur groupe ethnique. Cette minorité souffre d’un manque de représentation politique, médiatique et culturelle. Historiquement, les groupes panasiatiques américains se sont constitués autour des questions d’accès à la citoyenneté, au droit de vote, à l’éducation et à la lutte contre le racisme. Les attaques d’Atlanta l’attestent, et, au-delà du slogan « #StopAsianHate », les revendications politiques sont rares ou inaudibles. Les dynamiques démographiques en cours peuvent favoriser la constitution de coalitions plus puissantes.
NOTES
(1) Abby Budiman et Neil G. Ruiz, « Asian Americans are the fastestgrowing racial or ethnic group in the U.S. », Pew Research Center, 9 avril 2021. (2) Abby Budiman et Neil G. Ruiz, « Key facts about Asian Americans, a diverse and growing population », Pew Research Center, 29 avril 2021. (3) Jacob Fabina, « Despite Pandemic Challenges, 2020 Election Had Largest Increase in Voting Between Presidential Elections on Record », US Census Bureau, 29 avril 2021.