Dix ans après Fukushima : les effets sur l’agriculture
Si le tsunami qui a frappé le 11 mars 2011 les côtes est du Japon fut meurtrier (plus de 15 800 morts), l’accident nucléaire qui en a découlé, conséquence de la perte de contrôle de trois réacteurs de la centrale de Fukushima, a bouleversé la région. La catastrophe a imprimé des contraintes d’ordre radiologique, économique, social et culturel sur le territoire et sur l’agriculture qui y est pratiquée. Un défi que doit relever le Japon (1).
L’histoire agricole du département de Fukushima est représentative de l’agriculture japonaise. Après la Seconde Guerre mondiale, le gouvernement a encouragé la mise en place de rizières dans tout le pays, grâce à un système de prix garantis et à une profonde réforme agraire laissant la place à de nombreuses petites exploitations. Si le contexte pédoclimatique de la partie littorale du département de Fukushima n’est pas le plus favorable à cette culture, tout agriculteur y est aussi riziculteur. À la suite des crises de surproduction rizicole des années 1960, l’agriculture japonaise a connu une importante phase de diversification, menée à l’échelle des départements, incitant les riziculteurs à se lancer dans des productions de haute qualité et à forte valeur ajoutée. Fukushima développe ainsi son image de marque, notamment avec les pêches et les fruits rouges, produits de luxe sources de revenus pour les habitants.
UN MODÈLE REMIS EN CAUSE
Le 11 mars 2011 marque une rupture importante dans ce modèle de développement. Le tsunami détruit les côtes, mais dévaste aussi 5 500 hectares de rizières dans le département de Fukushima. Les dégâts dans le secteur primaire se chiffrent à près de 2 milliards d’euros. À la destruction par la mer s’est ajoutée la pollution aux radionucléides relâchés dans l’air par les réacteurs de la centrale. Très présentes dans les forêts, les particules radioactives, surtout du césium 134 et 137, sont libérées à chaque pluie, contaminent aussi les terres par ruissellement et se concentrent dans les retenues d’eau et fonds de vallée. Les systèmes d’irrigation, solidaires au sein des finages rizicoles, provoquent des pollutions en bloc.
Le modèle d’agriculture traditionnel a été totalement remis en cause. Alors que les autres régions côtières nettoyaient et désalinisaient les terres submergées, 13 communes ont été évacuées dans le département de Fukushima, une zone interdite – passée de 1 150 kilomètres carrés en 2013 à 336 en 2020 – a été créée, tandis que de nombreuses terres agricoles ont été abandonnées, leur taux d’utilisation passant de 85% en 2010 à 75% en 2018. Si la production ne s’est pas effondrée, le système traditionnel a été bouleversé, le riz du département restant moins valorisé au niveau national, alors que l’image de marque attachée à l’origine « Fukushima » pour les pêches et les fruits rouges est répulsive, malgré les contrôles de radioactivité effectués chaque année sur quelque 300000 échantillons. Les micro-exploitations ne disposent ni de la superficie nécessaire ni de la main-d’oeuvre pour se lancer dans une production de masse bon marché.
UN « MIRACLE DE FUKUSHIMA » ?
Malgré cette situation difficile, les autorités japonaises sont attachées à la réhabilitation du territoire, refusant l’abandon des terres. Une telle prouesse serait en effet un signal positif adressé au monde, de même qu’un argument majeur, au niveau national, pour le maintien du parc nucléaire. Il s’agit aussi d’une promesse faite aux habitants eux-mêmes. D’importants moyens technologiques ont été mis en place, visant à limiter la contamination au long de la chaîne de production et faisant de Fukushima un véritable laboratoire de l’agriculture en milieu confiné. Les réseaux d’irrigation ont été restructurés, des milliers d’hectares ont été raclés et leur couche superficielle remplacée, tandis que les rizières ont été ensemencées de potassium inhibant l’absorption de césium par les plantes. Des études sont encore en cours, notamment pour déterminer dans quelles parties de la plante se concentre la radioactivité. Les résultats obtenus sont communiqués par les autorités faisant état du « miracle de Fukushima ». De fait, au prix d’une adaptation des pratiques agronomiques et d’un contrôle à long terme, il est techniquement possible de maintenir un système de production agricole « presque » identique à celui d’avant l’accident. Ce bilan reste cependant remis en cause par la réalité. Les espaces ruraux du département ont en effet été transformés par les chantiers de décontamination eux-mêmes, les activités destinées aux ouvriers ayant pris le pas sur le secteur primaire. De même, seuls 15% des habitants des terres polluées déclarent vouloir revenir, tandis que le département a perdu la moitié de ses agriculteurs. De plus, le stock de nucléides restant important, le risque de pic de contamination persiste, rendant nécessaires des contrôles permanents, la présence de techniciens et la perpétuation des pratiques de décontamination coûteuses. La rupture que vit Fukushima semble définitive. Si cela ne remet pas en question la sécurité alimentaire du Japon, dont les pôles rizicoles continuent de fonctionner tandis que le reste des besoins est surtout couvert par les importations, le niveau d’autonomie alimentaire du pays s’établissant à 37% en 2018, l’avenir du département de Fukushima demeure incertain, dépendant du succès de la stratégie gouvernementale.
NOTE
(1) Pour en savoir plus, voir Rémi Scoccimarro, « Le défi nucléaire au service de l’agriculture japonaise ? », in Sébastien Abis et Matthieu Brun (dir.), Le Déméter 2021, IRIS Éditions, 2021, p. 79-94.