l'mil du cartographe
par Jean-Benoit Bouron
Representer !'agriculture et les espaces nourriciers
Proposer une vision des espaces nourriciers terrestres à l’échelle mondiale, notamment de la répartition des forêts, des cultures et des systèmes pastoraux, n’est pas chose aisée. Les sources sont primordiales, et la construction du planisphère est délicate. Les difficultés, les tâtonnements et les limites d’une telle entreprise ont été nombreux, permettant de déconstruire la fabrique du résultat final (1).
La carte 2 reprend un travail publié en 2008 et souvent réutilisé, mais dont les défauts étaient nombreux (cf. carte 1). Ainsi, la légende aboutissait à des généralisations excessives. Mettre à jour cette représentation des systèmes agricoles a alors semblé utile, d’autant qu’il devenait impossible de compléter cette carte faite sur des bases trop anciennes. Le résultat reste imparfait pour deux raisons opposées : une carte à l’échelle mondiale est nécessairement trop simpliste, tant elle décrit une infinie variété de situations, et parce qu’elle cherche à éviter la simplicité, elle peut s’avérer peu lisible.
UNE CARTE À ACTUALISER
Les plantations représentent une difficulté qu’il a fallu chercher à résoudre prioritairement. La source utilisée a été le recensement des plantations à l’échelle mondiale par le Global Forest
Watch, avec des lacunes : on n’y trouve pas le coton ou la canne par exemple. Les bananeraies ou les hévéas sont mieux documentés. Il est difficile de montrer la totalité des plantations liées à des cultures commerciales, notamment celles du palmier à huile, parce que le phénomène est local et diffus. Les millions d’hectares de forêts tropicales ou équatoriales convertis en plantation prennent l’apparence, à l’échelle mondiale, d’une pluie de confettis localisée.
La nouvelle version redonne leur place aux forêts comme ensembles de systèmes nourriciers qui ont alimenté les sociétés humaines dans le temps long et encore de nos jours. Les travaux sur la cueillette, qu’elle soit vivrière ou commerciale et de grande ampleur, ont fait la lumière sur les autres productions forestières que le bois. De nombreuses forêts sont également pourvoyeuses de gibier ou de poisson de rivière. Le critère retenu pour la forêt sur la carte est un boisement supérieur à 75% ; certains espaces partiellement boisés apparaissent comme des savanes ou des terres arables. Ce qui est indiqué comme « savanes » est une mosaïque de paysages faisant la transition entre la forêt et les terres arables ; elles sont loin d’être des milieux naturels : elles sont habitées, cultivées, pâturées… Les terres arables recouvrent aussi bien les rizières en terrasses et les céréales en culture pluviale que les prairies artificielles et les cultures destinées à l’élevage. Les grands bassins d’irrigation permettent de faire le lien entre l’agriculture et les usages de l’eau. Pour tenir compte des interactions entre les systèmes agricoles et les agglomérations urbaines, où vit la moitié de l’humanité, un figuré représente les espaces périurbains ou les espaces ruraux densément peuplés et en interaction forte avec la ville (qu’il s’agisse de mégapoles ou d’une armature serrée de cités petites et moyennes). La question de la transition entre un figuré et l’autre se pose partout sur la carte : qu’un système laisse brutalement la place à un autre est l’exception. Le passage d’un système à l’autre est une bande qui peut avoir une largeur de l’ordre de la centaine de kilomètres. Le choix a été fait de ne pas représenter les fronts pionniers, tant leur forme dentelée est peu lisible à cette échelle et leur localisation difficile à harmoniser à l’échelle mondiale.
TROP SIMPLE POUR ÊTRE VRAI ?
La mise à jour d’une carte des systèmes agricoles de 2008, déjà revue en 2015, a pris plus de temps que prévu, et le résultat ne correspond pas aux attentes de départ. Un coup d’oeil à la France suffit à se convaincre de l’important degré de simplification : tout le Massif central n’est évidemment pas recouvert uniformément de forêt. Mais c’est une confirmation de cette règle de la cartographie : toute carte à vaste échelle nécessite une généralisation, c’està-dire une simplification des contours, et aboutit à une perte d’information. La carte reste imparfaite, voire « fausse ». Ses défauts résultent de la difficulté à trouver des données récentes à l’échelle mondiale, d’un manque de temps pour faire les vérifications indispensables à des échelles plus fines, d’une méconnaissance de certaines situations locales et donc de la réalité du terrain, et des lacunes des sources utilisées. En guise de consolation, pensons qu’il restera possible de la mettre à jour.
NOTE
(1) Ce texte est une version actualisée de Jean-Benoît Bouron, « Carte à la une : Représenter l’agriculture et les espaces nourriciers à l’échelle mondiale », in Géoconfluences, 23 février 2021.