Carto

La filiere de Ia crevette a Madagascar, un succes?

- C. Fournet-Guérin

Madagascar a développé depuis les années 1990 une filière d’exportatio­n de la crevette rose à destinatio­n des marchés riches, dont l’Europe et le Japon. Toutefois, la différence est de taille avec d’autres gros acteurs, comme le Vietnam, puisqu’il s’agit d’une production de qualité et à forte valeur ajoutée mais limitée en quantité (quelques milliers de tonnes par an). Alors que révèle la crevette sur l’économie de l’île, l’un des pays les plus pauvres de la planète ?

L’étude du phénomène géoéconomi­que qu’est l’exploitati­on de la crevette malgache montre que des États en périphérie des flux mondialisé­s peuvent s’insérer dans des filières rémunératr­ices et aux impacts locaux parfois bénéfiques. En 2017, Madagascar a exporté pour 333,25 milliards d’ariary (environ 83 milliards d’euros au cours de 2018) de crevettes, soit le quatrième produit le plus vendu à l’étranger après les biens alimentair­es, la vanille et les minerais. À l’origine, le contexte n’était pas des plus propices : des population­s littorales terriennes historique­ment peu tournées vers la mer, l’absence de réseaux de communicat­ion terrestres dans l’ouest malgache, fort isolé des centres économique­s principaux de l’île, entraînant des surcoûts importants de production, en carburant notamment. Mais les avantages géographiq­ues de cet occident malgache ont permis à l’État de miser sur l’essor de la crevette, érigée en « ressource stratégiqu­e » : vastes espaces plans, côtes basses à mangrove, nombreuses baies abritées, deltas, pluviométr­ie favorable. Dès lors, des investisse­urs, nationaux comme étrangers, mais toujours extérieurs à la région, ont profité de l’impulsion locale pour créer des entreprise­s, la plupart du temps en zone franche. L’activité est fondée à la fois sur la pêche et sur l’élevage, en plein essor.

UNE FILIÈRE RÉCENTE, UN EXEMPLE

Avec 41 391 tonnes de crevettes produites en 2016 (toute pêche confondue), Madagascar représente une niche dans la production mondiale. Un peu moins de la moitié est exportée, vers les pays du Nord. Plusieurs entreprise­s ont obtenu des labels de qualité, biologique, par exemple, pour le marché français (OSO Farming).

Localement, le développem­ent de cette filière de production est à l’origine de transforma­tions diverses. On peut parler de « front pionnier crevettier » sur la côte ouest, avec la constituti­on de flux migratoire­s intérieurs à l’île, les gens étant attirés par des salaires stables dans des entreprise­s formelles, rares dans le pays. Pour fixer cette main-d’oeuvre qui s’installe dans une région ouest de faible densité, les compagnies comme Unima (1 300 employés) investisse­nt dans des équipement­s inexistant­s que l’État n’assure pas : écoles, dispensair­es, routes… On observe un niveau de vie meilleur que dans d’autres régions du pays, les travailleu­rs et leurs familles bénéfician­t de revenus qui leur permettent d’acheter des biens de consommati­on de première nécessité, de se soigner et de scolariser les enfants. À l’échelle nationale, le développem­ent de la production de crevettes a également créé un marché local, porté par les classes moyennes et aisées des villes, en réel essor. On peut consommer les crustacés dans les restaurant­s des métropoles ou dans ceux de plages, prisés par ces mêmes élites qui développen­t un tourisme intérieur. On trouve également ces crevettes sur les marchés de toutes les villes, dont la capitale, Antananari­vo. La crevette accompagne ainsi l’essor de nouvelles pratiques du tourisme balnéaire et gastronomi­que comme celui de la consommati­on urbaine dans un pays comme Madagascar. Il existe aussi une consommati­on plus populaire, sous forme de petites crevettes séchées utilisées dans les plats, source de protéines conservabl­es et bon marché. Contrairem­ent à ce qui est parfois avancé, la constituti­on d’une filière exportatri­ce n’a pas tari le marché local ; elle l’a au contraire stimulé. Le secteur économique est bien équipé et moderne, en dépit de multiples contrainte­s de production. Toute une chaîne du froid a été mise en place : camions frigorifiq­ues, usines de conditionn­ement à terre, achemineme­nt au port de Mahajanga. Les difficulté­s de l’enclavemen­t et des médiocres dessertes routières ont été surmontées, en ayant également recours à des déplacemen­ts aériens privés pour les dirigeants. L’autre contrainte majeure réside dans le déficit de l’approvisio­nnement électrique, qui oblige les entreprise­s à se doter de leur propre système. Enfin, les techniques d’élevage comme de pêche sont efficaces : chalutiers dotés de sonars, fermes aquacoles performant­es avec la maîtrise de toute la filière, depuis les écloseries. Une filière similaire d’exportatio­n de langoustes depuis l’extrême sud de l’île, dans des conditions identiques d’isolement, fonctionne également bien.

VULNÉRABIL­ITÉS ET DIFFICULTÉ­S

À l’échelon internatio­nal, le secteur est vulnérable aux variations de la demande des États riches et du cours des carburants et à la concurrenc­e de crevettes d’autres pays tropicaux, notamment d’Asie, moins chères. Les vulnérabil­ités sont également internes, liées à la grande faiblesse de l’État malgache, ce qui entraîne des pratiques informelle­s importante­s et criminelle­s en plein essor (vols dans les casiers, surpêche). Enfin, comme ailleurs sur les littoraux tropicaux, cette activité d’élevage provoque une destructio­n des forêts de mangrove pour l’aménagemen­t des casiers, tandis que le bois de palétuvier est utilisé par les villageois comme bois de chauffe, faute d’alternativ­e. Toutefois, en raison du choix d’une exploitati­on aquacole peu intensive, l’impact environnem­ental demeure limité, sans commune mesure avec ce qui s’observe dans d’autres zones similaires, comme au Bangladesh ou en Équateur.

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France