Great Bear Rainforest: exemple de lutte pour Ia foret
Au terme de vingt ans de conflits et de négociations, un accord a été conclu le 1er février 2016 à propos de la protection de la Great Bear Rainforest, dans l’ouest du Canada. Le texte, adopté par les autorités de ColombieBritannique, 26 Premières Nations autochtones, cinq entreprises forestières et trois organisations de protection de l’environnement, entend sauvegarder la plus grande forêt pluviale tempérée intacte au monde contre toute exploitation.
Aussi grande que la Belgique, la Great Bear Rainforest s’étend sur 6,4 millions d’hectares et 32 000 kilomètres carrés. Elle occupe presque toute la côte ouest du Canada, de l’île de Vancouver au sud, jusqu’à la frontière avec l’Alaska, au nord. Habitat privilégié du Kermode, une sous-espèce rare de l’ours noir, ce territoire a été, à partir du milieu des années 1990, le théâtre d’un bras de fer entre les industriels du bois d’une part, les communautés des Premières Nations et les associations de protection de l’environnement d’autre part.
L’ENJEU DE L’EXPLOITATION DU BOIS
Le conflit s’est cristallisé alors que les sociétés de production de bois poursuivaient, dans les années 1990, la déforestation de larges portions de forêt primaire. Les images de militants enchaînés aux arbres de la région de Clayoquot Sound pour protester contre les coupes à blanc ont déclenché plusieurs opérations de blocage et de boycottage. Une « guerre des bois », touchant plusieurs forêts pluviales du Canada, a dès lors commencé. En 1992, dans l’espoir d’y mettre fin, le gouvernement de Colombie-Britannique entamait, pour la Great Bear Rainforest, des discussions autour d’un plan d’occupation des sols. À cette période, moins de 5 % de la forêt étaient protégés. En avril 2001, les autorités provinciales passaient un premier accord de principe avec des associations de défense de l’environnement, des membres de communautés indiennes et des sociétés d’exploitation forestière pour sauvegarder 600 000 hectares de bois. Cela n’a pas résolu la crise. Les associations de défense de l’environnement ont accusé le gouvernement local de ne pas poursuivre l’action visant à protéger de nouvelles zones à risque. Les compagnies oeuvrant dans le secteur, parmi lesquelles Canadian Forest Products, International Forest Products, Western Forest Products et Weyerhaeuser, à la recherche d’arbres de grande taille et de bois de qualité, ont, quant à elles, poursuivi leur exploitation, notamment au sud de la Great Bear Rainforest. En février 2006, les Great Bear Rainforest Agreements ont agrandi la zone protégée, en bannissant l’exploitation forestière sur 33% de la région. Ils comportaient également l’engagement d’une gestion écosystémique de la forêt pour l’intégralité de la Great Bear Rainforest à partir de 2009. Ces accords ont officialisé l’implication des Premières Nations dans le processus décisionnel et la mise en oeuvre du financement de la conservation pour permettre la diversification économique. En 2009, les environnementalistes sont parvenus à obtenir la préservation de 50 % des arbres matures de la région. En 2010, la société Enbridge soumettait un projet de pipeline devant traverser la côte de la Colombie-Britannique pour relier l’Alberta à la municipalité de Kitimat. Cette perspective a provoqué de nouvelles discussions, des manifestations ainsi que la multiplication d’événements organisés dans tout l’ouest du Canada par l’ONG International League of Conservation Photographers dans le but de sensibiliser le public à la cause. Le projet a été abandonné en novembre 2016, lorsque le Premier ministre canadien, Justin Trudeau (depuis 2015), a officialisé son opposition à sa construction. Mais d’autres tracés étaient alors en discussion, et Ottawa a profité de l’occasion pour valider le Trans Mountain, qui relie Edmonton (Alberta) au port de Burnaby.
DE NOUVELLES AIRES PROTÉGÉES
Désormais, la Great Bear Rainforest est assez largement sanctuarisée : alors qu’en 2014, les parties en présence se sont entendues pour conserver 70% de la forêt pluviale, l’accord de février 2016 interdit ou limite fortement toute exploitation industrielle sur 85 % du territoire. L’objectif affiché est de mettre en place, sur les 15% restant accessibles à l’industrie forestière notamment, des pratiques de gestion écosystémiques afin de préserver la biodiversité, la structure et les fonctions de la forêt. L’accord de 2016 établit également huit nouvelles aires protégées et neuf « réserves à restaurer » dans la partie sud, durement touchée par l’exploitation industrielle. L’entente donne, en contrepartie, l’assurance aux industriels sylvicoles et forestiers d’une récolte annuelle de 2,5 millions de mètres cubes de bois pour les dix prochaines années. Le 16 novembre 2016, la Great Bear Rainforest canadienne a rejoint le programme de conservation de la forêt du Commonwealth (Queen’s Commonwealth Canopy). Si cette intégration n’implique aucune protection légale supplémentaire, elle lui confère une visibilité plus large et fait entrer de nouveaux acteurs dans ses projets de préservation. L’exemple de la Great Bear Rainforest met en valeur l’importance écologique et environnementale des forêts pluviales, de plus en plus rares mais essentielles. Alors que ces dernières n’occupent que 10 % des zones terrestres de la planète, elles renferment 50 à 80 % des espèces animales ou végétales terrestres. Les forêts pluviales comptent parmi les régions les plus productives de la Terre et la végétation de ces espaces est à l’origine de près du tiers de la production mondiale d’oxygène.