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Tchad: une <<transition» politique militarise­e

- D. Lagarde

Le 20 avril2021, celui qui dirigeait le Tchad depuis 1990, Idriss Deby, AI'annonce a perdu Ia vie dans des circonstan­ces troublante­s. de sa aIa mort, son fils, Mahamat Idriss Deby (ne en 1984), fut nomme tete d'un Conseil militaire de transition (CMT), conteste par Ia rue. Cette situation peut destabilis­er un pays allie historique de Ia France en Mrique et au creur des enjeux strategiqu­es au Sahel.

Les decennies qui ont suivi !'accession a l'independan­ce du Tchad en 1960 furent marquees a a par des crises repetition, commencer par trois guerres civiles (1965-1979, 19791982, 2oos-2o1o) qui ont fragilise l'appareil d'Etat et contribue au declenchem­ent du conflit tchado-libyen (1978-1987). Dans les annees 1980, Hissene Habre profite de cette situation pour instaurer un regime repressif (1982-1990), avant d'etre renverse le 1e' decembre 1990 par ldriss Deby, soutenu par Paris et Ia Libye de Mouammar Kadhafi (1969-2011). Lors de son accession au pouvoir, le nouveau chef d'Etat promet d'instaurer Ia democratie et engage une serie de reformes suscitant une vague d'espoir au sein de Ia population. Mais l'homme revient rapidement sur ses promesses. En plus de museler toute forme d'opposition politique, il use de sa fonction pour placer plusieurs membres de ades sa famille pastes cles d'entreprise­s et d'administra­tions publiques, notamment dans le secteur petrolier.

LE REGIME DEBY

Ce systeme, qui lui permet de remporter six elections presidenti­elles successive­s a entre 1996 et 2021, profite aussi l'enrichisse­ment de ses proches. Selon une etude publiee en 2017 par I'ONG SwissAid, ldriss Deby disposait alors d'une fortune s'elevant entre so millions et 100 millions d'euros, tandis que les Panama Papers ont fait etat d'un detourneme­nt de fonds a publics par son clan estime 10,76 milliards de dollars. Cette accumulati­on de richesses contraste avec Ia misere dans laquelle est maintenu le peuple tchadien. D'apres I'ONU, 85°/o de Ia population vit en situation de pauvrete multidimen­sionnelle, s.s millions de personnes ont besoin d'aide humanitair­e d'urgence, 4,6 millions se trouvent en insecurite alimentair­e et 1,7 million n'a pas d'acces ades regulier services de sante. Le 11 avril 2021, alors qu'ldriss Deby remporte sa sixieme election presidenti­elle, le Front pour l'alternance et Ia concorde au Tchad (FACT) lance une attaque depuis Ia Libye pour s'emparer du pouvoir. Benefician­t de Ia passivite des population­s locales, a les rebelles reussissen­t s'infiltrer jusqu'au nord de Ia capitale, Ndjamena. En tant que chef supreme des armees, ldriss Deby decide de se rendre sur le front pour remobilise­r ses troupes. Selon Ia version officielle, le president tchadien serait decede le 20 avril des suites de blessures re<;:ues durant les combats. Quelques heures apres Ia mort de !'autocrate, le CMT est mis en place pour pallier Ia vacance du pouvoir. Cet organe, a install€ Ia tete de I'Etat en dehors de toute legalite juridictio­nnelle, sans gouverneme­nt ni Parlement, declare vouloir diriger le pays durant dix-huit mois, en vue d'organiser des elections ({ libres et democratiq­ues ». Mais plusieurs doutes subsistent quant a l'integrite de cette institutio­n presidee par Mahamat ldriss

Déby et composée d’anciens caciques du régime. En effet, la « Charte de transition de la République du Tchad » adoptée par les militaires après avoir abrogé la Constituti­on accorde les pleins pouvoirs au nouveau président, qui dispose d’un droit de nomination et de révocation des membres du CMT. Pour l’opposition, cette transition est synonyme de succession monarchiqu­e. La population tchadienne est descendue dans les rues à plusieurs reprises pour protester contre le CMT et réclamer la fin de la corruption d’État qui profite au clan Déby depuis trois décennies. Mais lors du premier rassemblem­ent organisé à Ndjamena, le 27 avril 2021, les militaires ont ouvert le feu sur les manifestan­ts.

UN ALLIÉ FIABLE POUR LA FRANCE ?

Dans la foulée de ces événements, Emmanuel Macron a condamné les violences. Malgré ces déclaratio­ns, la position de Paris vis-à-vis du pouvoir tchadien demeure complexe. Depuis l’indépendan­ce, les deux pays se sont engagés dans une étroite coopératio­n militaire, renforcée par le déploiemen­t du dispositif « Épervier » (1986-2014), destiné à stabiliser la région. Cette mission se matérialis­ait par la présence de militaires français sur le sol tchadien, répartis sur trois sites différents. À ce titre, et comme ce fut le cas durant l’offensive du FACT, l’armée française est intervenue à de multiples reprises ces dernières années pour porter assistance au pouvoir tchadien, menacé par des groupes rebelles. En retour, la France peut compter sur le soutien du Tchad dans la lutte qu’elle mène contre les djihadiste­s actifs dans la zone saharo-sahélienne. Depuis son lancement en août 2014, le poste de commandeme­nt de l’opération « Barkhane » est basé à Ndjamena. De plus, l’armée tchadienne, considérée comme la mieux équipée et aguerrie du continent, fournit le plus fort contingent de militaires à la Force conjointe G5 Sahel, avec 1 800 soldats sur les 5000 mobilisés. L’annonce de la fin de « Barkhane » en juin 2021 va rebattre les cartes pour un Tchad jusqu’ici perçu comme un îlot de stabilité par la France, qui, à ce titre, acceptait de fermer les yeux sur les excès d’Idriss Déby. Fera-t-elle de même pour son fils et successeur ?

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