Vers une nouvelle ere geopolitique spatiale
ason Le 23 avril2021, la capsule Crew Dragon Endeavour, avec le Frans:ais Thomas Pesquet bord, a decolle vers la Station spatiale internationale (ISS), rappelant que le monde est entre dans une nouvelle ere. Cette dynamique, engendree par le developpement des technologies et 1'arrivee d'acteurs prives, a eu pour effet 1' augmentation des tensions entre les grandes puissances.
La concurrence dans l'espace n'est pas nouvelle. Elle a ete un element determinant de Ia guerre froide : pendant des decennies, I'Union sovietique et les Etats-Unis ont rivalise dans leurs programmes spatiaux et satellitaires, mettant en competition leurs avancees technologiques respectives. La premiere etape fut remportee par I'URSS avec le lancement du satellite Spoutnik 1 en octobre 1957. La reponse americaine s'est incarnee avec «Apollo 11 »en juillet 1969, Ia premiere mission ase avec equipage poser sur Ia Lune.
UNE PRIVATISATION DE L' INDUSTRIE SPATIAL£ G RA. CE AUX MILLIARD AIRES~
Plusieurs entreprises privees sont entrees dans a cette course l'espace, parmi lesquelles Microsoft, a Virgin ou Tesla (SpaceX), qui appartient Ia Crew Dragon Endeavour. Apres son decollage,
la compagnie d’Elon Musk était choisie par la NASA pour développer le système d’alunissage lors de sa prochaine mission lunaire. Les sociétés américaines ne sont pas les seules à investir : en avril 2019, l’israélienne SpaceIL lançait la première opération lunaire financée par des fonds privés en partenariat avec SpaceX. Si les acteurs privés et publics se pressent pour présenter leurs programmes, c’est en partie parce que l’espace regorge de précieuses ressources : les astéroïdes sont riches en or, rhodium, fer, nickel, platine, tungstène ou cobalt, et la concentration en métaux rares y est jusqu’à 100 fois supérieure à celle de la croûte terrestre. Le marché pourrait représenter plus de 100 milliards de dollars pour les industriels d’ici à 2050. Asteroid Mining Corporation, Planetary Resources et Deep Space Industries se sont déjà lancées dans des programmes de collecte de matière astéroïdale. Pourtant, depuis 1967, toute appropriation de l’espace extra-atmosphérique est prohibée. Ce dernier est considéré comme un héritage commun de l’humanité et régi par le Traité de l’espace. Ce texte interdit toute revendication de souveraineté « par voie d’utilisation ou d’appropriation » et rend l’espace ouvert à tous pour l’« exploration et la découverte pacifiques ». Mais, en 2015, le président américain Barack Obama (2009-2017) signait le Space Act, permettant aux entreprises américaines de posséder ou de vendre les ressources extraites de l’espace. Les États eux-mêmes peinent à cacher leur intérêt : si la Lune redevient un enjeu stratégique, les terres rares qu’elle contient pourraient ne pas y être étrangères. En décembre 2020, la Chine choisissait comme site d’alunissage pour la sonde Chang’e 5 une zone ayant pour particularité d’abriter une concentration élevée de terres rares. Les échantillons rapportés par la capsule auront permis aux scientifiques chinois d’en préciser le niveau exact. Par ailleurs, d’importantes quantités d’hélium 3 pourraient être présentes dans la poussière de la surface lunaire, ce gaz léger non radioactif étant considéré comme un combustible pour les futures centrales nucléaires à fusion. Enfin, les technologies spatiales et de haute altitude sont des éléments essentiels de la guerre moderne. En juillet 2020, la Russie a été accusée par les États-Unis et le Royaume-Uni de tester dans l’espace une nouvelle arme qui pourrait être utilisée pour cibler des satellites en orbite. De son côté, le 20 décembre 2019, Washington créait l’US Space Force, une branche des forces armées destinée à la conduite d’opérations militaires dans l’espace.
LA COURSE SINO-AMÉRICAINE
La Chine est un acteur clé. En septembre 2011, Pékin lançait Tiangong 1, sa première station spatiale. En janvier 2019, les spationautes chinois (« taïkonautes ») effectuaient le premier alunissage sur la face cachée et la première expérience biologique extraterrestre grâce au module Chang’e 4. En avril 2021, la République populaire envoyait le premier module de sa future grande station spatiale. Avec 32 lancements orbitaux en 2019, le plus important nombre de toutes les puissances spatiales, Pékin s’est imposé comme acteur de premier plan dans l’accès à l’espace. Si la Chine n’a officiellement pas de programme spatial militaire en développement, elle tient là sa revanche face aux États-Unis dans la course à l’hégémonie. Le 9 mars 2021, les responsables des agences spatiales chinoise et russe ont signé un accord de coopération afin de créer l’International Lunar Research Station (ILRS), une base lunaire de recherche scientifique multidisciplinaire. Les deux pays ont développé des liens plus étroits dans de nombreux secteurs stratégiques depuis 2014 et l’annexion de la Crimée par Moscou, ayant eu pour conséquence la montée des tensions avec les puissances occidentales, puis à partir de 2017 avec la présidence Donald Trump (2017-2021) et la guerre commerciale entre Washington et Pékin. De leur côté, les États-Unis s’entourent de leurs partenaires historiques. Le programme « Artemis », dont l’objectif est d’amener un équipage sur le sol lunaire d’ici à 2024, est mené en collaboration avec les Européens, les Canadiens et les Japonais. Face à la politique expansionniste de Pékin, le Japon a renforcé son budget : 4,14 milliards de dollars ont été alloués aux programmes spatiaux pour l’année fiscale 2021, soit une augmentation de 23% par rapport à 2020. Lors de la 13e Conférence spatiale européenne en janvier 2021, l’Europe a confirmé qu’elle allait poursuivre une stratégie autonome et ambitieuse, avec une enveloppe de 13,2 milliards d’euros, mais cela reste loin derrière les 23,3 milliards de dollars de la NASA.