L’assainissement des eaux : un défi majeur pour l’Afrique
L’avenir des sociétés et des environnements en Afrique se joue en partie autour de la gestion de l’eau. La croissance démographique, l’élévation du niveau de vie des populations et l’urbanisation constituent des défis majeurs pour un continent en mutation où le traitement des eaux usées et l’accès à une eau salubre remettent en question les enjeux du développement durable. Si des solutions existent, elles se confrontent souvent à un déficit d’engagement des États.
Si l’Afrique, en apparence, ne manque pas d’eau, l’ONU estime qu’il s’agit du deuxième continent le plus aride après l’Australie, avec seulement 9 % des ressources renouvelables (fluviales et aquifères) de la planète alors qu’il pèse pour près de 17 % de la population mondiale en 2021. Deux Afrique se distinguent : dans la zone intertropicale, les précipitations alimentent de vastes réseaux hydrographiques puissants, mais, à l’opposé, l’eau est une ressource rare et réduit la présence humaine et celle des activités économiques dans les régions arides de la bande saharo-sahélienne, de la Corne de l’Afrique, de la Namibie et de l’ouest de l’Afrique du Sud (cf. carte 1). L’accès des populations à une eau salubre et l’établissement de systèmes d’assainissement font partie des Objectifs de développement durable de l’ONU. Or 75 % des Africains puisent leur eau de consommation dans des nappes alors que cette eau ne constitue que 15 % de la ressource totale sur le continent. Elle est mal partagée et soumise à des pressions qui remettent en question sa quantité et sa qualité.
UNE RESSOURCE MAL PARTAGÉE
Le continent africain se caractérise par d’importantes inégalités en matière de disponibilité en eau renouvelable (cf. carte 2) : certains pays (Gabon, Liberia, Congo, Centrafrique, Sierra Leone) ne souffrent d’aucun stress hydrique, quand d’autres se trouvent en « rareté absolue », comme dans la bande saharo-sahélienne (Algérie, Tunisie, Égypte, Niger, Mauritanie, Libye). Cette situation résulte de la combinaison de plusieurs variables. D’abord, l’environnement hydroclimatique, les pays de la bande sahélienne, plus arides, recevant moins de
précipitations que les pays localisés au niveau de l’équateur (République démocratique du Congo ou RDC, Ouganda, Kenya…). Il faut également tenir compte de la pression démographique, car les pays très peuplés (Égypte, Nigeria…) ou avec une forte densité démographique ont en règle générale une disponibilité hydrique moindre que les pays de peuplement plus modeste (Gabon, Guinée…), en raison du poids de la demande. Aux inégalités de disponibilité s’ajoutent les inégalités d’accessibilité, la densité des infrastructures et des réseaux d’approvisionnement dépendant de la gouvernance politique. Les pays les plus développés sont mieux équipés (réseaux d’adduction) que les moins avancés.
Toutefois, la situation s’aggrave sur l’ensemble du continent, et l’ONU estime qu’en 2025, 25 pays africains devraient souffrir de pénurie d’eau ou de stress hydrique, contre 18 en 2016. L’écart entre la disponibilité et la demande en eau ne cesse de se creuser, en raison de la forte croissance démographique que rencontre l’Afrique, mais aussi des changements climatiques qui affectent les régimes des précipitations. Entre 1980 et 2020, la population africaine a quasi triplé, passant de 476 millions à environ 1,3 milliard d’individus, et devrait atteindre 2,9 milliards en 2060 (cf. document 3 p. 59). Elle est également de plus en plus urbaine, quartiers aisés et bidonvilles se côtoyant.
DÉFICIT D’ASSAINISSEMENT ET EFFETS SANITAIRES
Face à l’augmentation de la demande, l’accès à l’eau s’est cependant amélioré, en grande partie grâce à l’action des institutions internationales et des ONG : 66 % des Africains disposent d’un accès à un point d’eau sûr (puits, forages, fontaines…) en 2017, contre 53% en 2000. Les disparités sont toutefois importantes tant à l’échelle des grandes régions, par exemple entre l’Afrique du Nord (88 %) et l’Afrique centrale (16 %), qu’à l’échelle des pays (la Zambie, plus de 80 %, et le Tchad, moins de 40 %). En revanche, la situation est plus fragile en matière d’assainissement des eaux usées. C’est un défi majeur pour la santé des populations et la qualité de leur environnement, l’absence de système de traitement étant une cause de morbidité et de mortalité. Le développement d’infrastructures de collecte (raccordement des
habitations), de traitement et d’assainissement (égouts, fosses septiques, stations d’épuration) permet une amélioration de la santé des populations. Mais les progrès réalisés dans ce domaine ont été modestes. Ainsi, la proportion d’Africains ayant accès à des installations d’assainissement de base (notamment des toilettes séparées, non collectives) n’est passée que de 28 à 33% entre 2000 et 2017. Une fois encore, l’Afrique du Nord est mieux dotée que l’Afrique subsaharienne (cf. carte 4). L’assainissement concerne aussi le maintien de bonnes conditions d’hygiène, grâce à l’enlèvement des ordures. Traités, les déchets ne viennent pas polluer les cours d’eau, les sols et les nappes. La dégradation des eaux s’opère également par l’utilisation de plus en plus importante de produits phytosanitaires dans l’agriculture (cf. carte 5), principal secteur d’activité pour l’essentiel des populations rurales, majoritaires sur le continent. Les rejets industriels y contribuent également. L’Afrique est le continent le plus déficitaire en services et en équipements d’assainissement « améliorés », c’est-à-dire des toilettes adaptées et des dispositifs de traitement des eaux usées et des boues de vidange (cf. carte 6 p. 62). L’évolution est beaucoup trop lente au regard de la croissance démographique. La défécation en extérieur concerne encore les deux tiers de la population au Niger, en Érythrée et au Tchad par exemple. Les eaux usées sont rejetées dans la nature, à proximité des espaces de vie, et viennent dégrader les cours d’eau, les nappes… qui servent souvent à alimenter en eau les habitants. Le cycle de l’eau est celui d’une ressource qui devient un facteur de risque sanitaire. L’accès à l’eau potable et à des équipements d’assainissement constitue un enjeu majeur de santé, particulièrement des plus vulnérables (enfants,
femmes enceintes, malades) qui, en l’absence de conduites d’eau saines, peuvent consommer une eau souillée. L’insuffisance d’équipements sanitaires (toilettes) et de stations d’assainissement, le déficit en matière de pratiques d’hygiène, mais aussi la réutilisation d’eaux usées pour la petite agriculture vivrière, contribuent au risque de diffusion des maladies hydriques. En Afrique subsaharienne, l’épidémie de choléra rejaillit occasionnellement et la mortalité demeure élevée en RDC, au Nigeria, au Ghana, en Somalie, en Sierra Leone (cf. carte 7). L’éradication de ce type de pathologie ne pourra intervenir que lorsque ces pays se seront dotés d’équipements d’assainissement pour l’ensemble des populations. Les conditions d’hygiène basique au quotidien sont par ailleurs fondamentales. À l’exception de certains pays d’Afrique du Nord et d’Afrique australe, peu d’individus disposent d’eau et de savon à leur domicile (cf. carte 8).
DES SOLUTIONS LIMITÉES
De nombreux acteurs publics et institutionnels sont au chevet de l’Afrique et tentent d’apporter des réponses au déficit d’infrastructures d’assainissement des eaux usées. Mais les solutions apportées par l’ONU, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) ou l’Union européenne (UE) ne suffisent pas à régler la question de la dégradation environnementale en Afrique. Les États africains se sont souvent dotés d’organismes nationaux et établissent des programmes ambitieux pour les prochaines décennies, comme la réutilisation des eaux usées à des fins agricoles en zones périurbaines, par exemple au Ghana. Mais les capacités financières de la sphère publique faisant défaut, ce sont souvent les acteurs privés qui opèrent ces programmes et investissent sur le marché africain du traitement et de l’assainissement. C’est le cas notamment de Veolia. Le traitement des eaux usées ne pourra pas couvrir l’intégralité de l’Afrique, particulièrement dans la partie subsaharienne, où, selon la Banque mondiale, 40 % de la population, soit 435 millions de personnes, vivaient en dessous du seuil de pauvreté avec moins de 1,90 dollar par jour en 2018. Par ailleurs, le nombre de réfugiés et de déplacés continue de croître sur un continent traversé par de nombreuses tensions politiques et géopolitiques. Dans les camps, y compris ceux gérés par l’ONU, les épidémies menacent si des mesures d’assainissement ne sont pas prises. La crise de la Covid-19 est venue aggraver la situation, et entre 26 millions et 40 millions de personnes supplémentaires ont basculé dans l’extrême pauvreté sur le continent en 2020, selon la Banque mondiale. Sans de véritables actions concertées en matière d’accès à l’eau potable et de traitement des eaux usées, le développement sain et durable de l’Afrique risque de n’être qu’une ambition vaine.
La situation s’aggrave sur l’ensemble de l’Afrique, et l’ONU estime qu’en 2025, 25 pays du continent devraient souffrir de pénurie d’eau ou de stress hydrique, contre 18 en 2016.