Vu d’en haut
El Ejido, la « mer de plastique » d’une agriculture hyperproductiviste
Les images satellites sont devenues incontournables dans de nombreuses pratiques tant professionnelles que personnelles. Leur utilisation dans un cadre pédagogique est désormais courante. Ainsi, Carto s’est associée avec le Centre national d’études spatiales (CNES) et le ministère de l’Éducation nationale et de la Jeunesse, qui ont développé le site GéoImage (https:// geoimage.cnes.fr), pour montrer les enjeux du monde vus d’en haut.
La région d’El Ejido, dans le sud de l’Espagne, est recouverte par une « mer de plastique », image donnée par une présence excessive de serres. Ce site agricole est le premier pôle exportateur de légumes du continent européen. Le prix à payer est si lourd en termes environnementaux et sociaux que l’on doit s’interroger sur la durabilité d’un tel modèle de croissance.
La plaine littorale du Campo de Dalías est coincée entre la mer et la montagne. Tournée vers le sud et recevant seulement 286 millimètres d’eau par an, cette région aride fut longtemps sous-peuplée et vouée à l’élevage extensif. Les premières serres apparurent dans les années 1960 et 1970, lorsque l’Institut national de colonisation du régime franquiste (1939-1977) ouvrit un front pionnier agricole de 1 500 hectares irrigués pour les petits paysans sans terre.
UN CLUSTER AGRO-INDUSTRIEL
Le développement de cette « mer de plastique » est lié à l’entrée de l’Espagne dans la Communauté économique européenne en 1986. Valorisant ses avantages comparatifs, climatiques et sociaux, la région se couvre de serres afin de fournir l’Europe du Nord en légumes. Des milliers de puits et de stations de pompage mobilisent les eaux des nappes phréatiques. Mais l’épuisement des ressources conduit à descendre plus profond, au risque de la salinisation des nappes et des sols par l’entrée d’eaux marines. À cela répond la pollution croissante par les produits phytosanitaires. L’anthropisation du milieu est quasi complète ; entre 80 et 95 % de la surface agricole utile est couverte de toiles plastiques, un phénomène unique au monde. Ce paysage est le fruit d’un modèle de croissance agro-exportateur légumier promu par de puissants acteurs nationaux, régionaux et locaux. Il se traduit par des choix d’aménagement et d’organisation de l’espace particuliers. La modernisation agricole s’est accompagnée d’un boom démographique expliquant les fortes densités (370 habitants au kilomètre carré) et l’essor de l’urbanisation. Si El Ejido est une vraie ville, la structure urbaine repose sur des bourgs ruraux où se concentrent fournisseurs de semences, d’équipements agricoles, d’engrais et de produits phytosanitaires, sociétés de livraison… Les milliers d’exploitations de 2 à 5 hectares sont organisées par quelques grandes firmes privées ou de puissantes coopératives. Ainsi, Agroponiente commercialise la production de plus de 300 hectares vers 1 000 clients d’Europe et d’Amérique du Nord. Ces acteurs locaux sont eux-mêmes dépendants des stratégies des centrales d’achats de la grande distribution. Elles mettent en concurrence des territoires agricoles à l’échelle européenne ou mondiale en pesant sur les prix de vente, la rémunération des producteurs et les conditions de travail. Ce premier pôle européen exportateur de légumes est spécialisé (tomate, piment, aubergine, melon…). La mobilisation des nouvelles technologies (semences améliorées, développement du goutte-à-goutte, systèmes de gestion informatisés) a doublé la productivité à l’hectare, au prix d’un endettement croissant des exploitations. Ces productions sont exportées vers les marchés du nord de l’Europe par une noria de camions empruntant l’autoroute E15/A7. Exigeante en main-d’oeuvre peu qualifiée et saisonnière, cette agriculture intensive mobilise une immigration masculine, pour partie clandestine. De nombreux scandales ont mis en lumière une surexploitation (bas salaires, précarité, travail illégal, conditions de logement déplorables) et des tensions xénophobes. L.