Ostrov – L’île perdue : récit de l’abandon postsoviétique
la dissolution de l’union soviétique en décembre 1991 a plongé une grande partie de la russie dans le chaos. si l’ordre a été finalement rétabli dans la quasi-totalité du pays, certains endroits sont passés entre les mailles du filet. c’est le cas de ce petit territoire filmé par la caméra de svetlana rodina et laurent stoop ; le mot « ostrov » signifie « île » en russe. les réalisateurs ne révèlent pas l’emplacement exact du lieu ni son vrai nom. tout ce qu’ils font savoir au spectateur, c’est qu’il se trouve « quelque part en russie, dans la mer caspienne ».
Ostrov est une île que le temps a laissée de côté. Il n’y a pas de routes, pas d’emplois, pas d’électricité ; les maisons sont des constructions vétustes sur le point de s’effondrer. Ostrov a été abandonnée par l’État russe depuis la fin de l’ère communiste. Pourtant, une poignée d’habitants restent sur place, essayant de survivre comme ils peuvent, sans un véritable accès à l’éducation et à la santé, victimes de la solitude, de la malnutrition, de l’alcoolisme… Ils comptent sur la pêche pour nourrir leur famille. Des hommes tel Ivan gagnent ainsi leur vie, mais, sans permis, ils sont constamment harcelés par les gardes-côtes qui les considèrent comme des braconniers. Dans Ostrov – L’île perdue, les cinéastes restent parfaitement invisibles. Ivan, pêcheur tranquille, et sa femme Anna ont suffisamment de temps à l’écran pour évoluer et prendre corps. Quant à l’île ellemême, au milieu des bateaux qui grincent et des papiers peints qui s’affaissent, elle prend vie. Ce film est le portrait fascinant d’un territoire et d’une communauté presque entièrement oubliés. Si nous ne savions pas qu’il s’agit d’un documentaire, nous croirions à un film de science-fiction dystopique. L’île, régulièrement encerclée par d’épaisses brumes, semble figée dans le temps.
POUTINE, LE SAUVEUR DIVIN ?
Sur ce territoire indéfinissable se meuvent des individualités, partagées entre le désir de s’échapper et l’espoir que Vladimir Poutine vienne les sauver. Ivan a beau être en lutte constante avec les gardes-côtes et se plaindre en permanence des politiciens locaux corrompus, il estime le président russe au point d’en faire une figure frôlant le divin. Malgré l’absence criante d’aide de la part du gouvernement, Vladimir Poutine est omniprésent dans le documentaire, regardé sur des écrans de télévision vacillants chaque fois qu’il s’adresse à la nation. Ivan lui écrit même une lettre, espérant qu’il pourra résoudre tous les problèmes de l’île d’un trait de plume. Cette illusion d’une ligne directe vers son attention est forte : la seule embûche qui semble se dresser entre les habitants et cette autorité suprême est la bureaucratie et les lenteurs d’une administration perçue comme antagoniste. Alors que ceux qui restent à Ostrov n’ont d’autre choix que d’essayer de tirer le meilleur parti de la situation, le film se fait doux-amer : l’amour profond que portent les habitants à cette île se mélange au désespoir auquel ils sont confrontés au quotidien. Dès lors, la ligne de démarcation entre dystopie et utopie s’amincit, le brouillard s’épaissit au milieu des ruines et des espérances.