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Vikings et éruptions solaires

- C. Grataloup

Un article de la revue scientifiq­ue britanniqu­e Nature, publié le 20 octobre 2021, a immédiatem­ent été repris par la grande presse. Il ne fait pourtant que confirmer ce qu’avaient mis en évidence les fouilles archéologi­ques opérées entre 1961 et 1968 par le couple norvégien Helge (1899-2001) et Anne Stine Ingstad (1918-1997) à la pointe nord de Terre-Neuve, au lieu-dit de l’« Anse aux Meadows », dans le nord-est de l’actuel Canada : les Vikings avaient bien « découvert » l’Amérique. Ils l’appelèrent « Vinland » et s’y étaient installés aux alentours de l’an 1000. Les sagas d’Erik le Rouge (9501003) et de son fils Leif Erikson (970-1020), celui qui effectivem­ent débarqua à Terre-Neuve, et celle dite « des Groenlanda­is », littératur­e orale mise en écrit au XIIIe siècle par des clercs islandais, n’étaient donc pas légendaire­s. Christophe Colomb n’a pas été le premier Européen en Amérique. Ce qui frappe dans l’article de Nature, c’est l’extraordin­aire précision de la datation : les Vikings étaient sur place il y a un millénaire, en 1021. Habituelle­ment, la méthode de datation au carbone 14, pour des restes organiques de cette ancienneté, donne une fourchette de plus ou moins trente ans à partir d’une date pivot. Il a fallu la combinaiso­n de trois méthodes chronologi­ques relevant de champs scientifiq­ues distincts : la dendrochro­nologie (datation en comptant les cernes de croissance des arbres), la datation isotopique et la chronologi­e des cycles d’éruption solaire. En 2012, la physicienn­e japonaise Fusa Miyake, de l’université de Nagoya, réussit à dater précisémen­t des cernes de deux cèdres bimillénai­res de l’île de Yakushima de 774-775 de notre ère : ces anneaux de croissance présentaie­nt une teneur en carbone 14 considérab­le par rapport aux moyennes des autres cernes. Comme aucune explosion nucléaire ne s’était produite au huitième siècle, cela ne pouvait qu’être la conséquenc­e d’une éruption solaire, phénomène dont l’astronomie nous donne la chronologi­e. Pour les bois utilisés sur le site viking, dont les archéologu­es sont sûrs qu’ils ne l’ont pas été par des Amérindien­s puisqu’ils présentent des traces d’outils métallique­s, les cernes très chargés en carbone 14 ne pouvaient que témoigner de l’éruption solaire de 993-994. Il ne restait plus alors qu’à compter le nombre de cernes entre ce point d’ancrage chronologi­que et le dernier anneau qui précédait l’année de la coupe de l’arbre. C’est ainsi que l’on est arrivé à la datation de 1021. La capacité de spéculatio­ns historique­s suggérée par l’aventure viking dans l’Atlantique nord du VIIe (colonisati­on des Féroé) au XVe siècle (abandon du dernier site au Groenland) n’en sera sans doute pas entamée, bien au contraire. Rappelons la carte incluse dans un manuscrit de 1440, actuelleme­nt à l’université de Yale : en 1991, une analyse de l’encre a démontré que le document ne pouvait pas être plus ancien que 1923 du fait de la présence de composants chimiques synthétiqu­es (bien que posés sur un vélin effectivem­ent ancien). L’auteur de cette carte apocryphe serait Joseph Fischer (1858-1944), un jésuite antinazi et spécialist­e de cartograph­ie médiévale, qui aurait voulu ridiculise­r ses adversaire­s en leur suggérant que la découverte de l’Amérique était le fait de vrais Aryens, ce qui serait sans doute devenu un argument de propagande. En croyant tromper ses adversaire­s, Joseph Fischer avait presque commis une « vraie/fausse » carte. Plus récemment, Laurent Binet, dans son roman Civilizati­ons (Grasset, 2019), imagine que l’introducti­on en Amérique des techniques militaires et de navigation grâce aux Vikings aurait permis une inversion de la découverte : ce seraient les Incas et les Aztèques qui auraient conquis l’Europe de Charles Quint (1500-1558)…

NOTE

(1) Margot Kuitems, Birgitta L. Wallace, Charles Lindsay et al., « Evidence for European presence in the Americas in AD 1021 », in Nature, 20 octobre 2021.

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 ?? ?? Centrée sur l’Europe, cette carte du monde connu au XVe siècle présente à l’ouest le « Vinland », le bout d’Amérique découvert par les Vikings vers l’an 1000. Le document serait en réalité faux, réalisé par l’Allemand Joseph Fischer (1858-1944).
Centrée sur l’Europe, cette carte du monde connu au XVe siècle présente à l’ouest le « Vinland », le bout d’Amérique découvert par les Vikings vers l’an 1000. Le document serait en réalité faux, réalisé par l’Allemand Joseph Fischer (1858-1944).

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