La passe de Khyber : un verrou millénaire en plein Pachtounistan
Depuis la Haute Antiquité, la passe de Khyber met en contact l’Asie centrale et la Perse avec les mondes indiens des vallées de l’Indus ou du Gange. Constituant un enjeu majeur tant pour l’Afghanistan que pour le Pakistan, la frontière traverse la zone pachtoune. Le départ des États-Unis et le retour des talibans à Kaboul en août 2021 en reconfigurent les dynamiques géostratégiques.
Entre la chaîne de l’Hindou Kouch au nord et celle du Safed Koh au sud, un seuil tectonique et topographique permet à la rivière Kaboul de rejoindre le bassin de l’Indus. Perchée à une hauteur estimée à 1 067 mètres, la passe de Khyber est le col le plus bas des six principaux points de passage organisant la dyade de 2 430 kilomètres entre l’Afghanistan et le Pakistan (tracé jaune sur la carte). Nous sommes entre l’Asie des moussons aux plaines chaudes, humides et brumeuses, et l’Asie des terres froides et arides, entre l’Asie du Sud et l’Asie centrale, et enfin, entre l’Asie des hautes densités et l’Asie sous-peuplée. Après avoir drainé l’est de l’Afghanistan, la rivière Kaboul passe à Jalalabad, puis par d’étroites gorges pour rejoindre Peshawar et l’Indus.
DES MONTAGNES REFUGES AUX FRONTIÈRES FLOUES
Par ce haut lieu, les caravanes diffusèrent langues, religions et biens rares. Ce couloir d’invasions vit passer Alexandre le Grand (356-323 av. J.-C.), les dynasties Ghaznévide (962-1187), Ghoride (879-1215) et Moghole (15261857). Puis la protection de l’Empire britannique des Indes aboutit aux guerres afghanes (1839-1942, 1878-1880, 1919) et à l’établissement, en 1893, de la « ligne Durand » sur les crêtes de ces massifs devenus frontaliers. Dès 1899, Londres y crée la North-West Frontier States
Agency, un modèle de gestion dont hérite le Pakistan lors de sa création en 1947. Cette frontière entre l’Afghanistan et le Pakistan partage une entité pachtoune d’environ 50 millions de personnes organisée sur un système montagnard central commun qui sert de refuge. Leur zone de peuplement s’étend du côté pakistanais sur toute la rive droite de l’Indus. Dans un système tribal réparti en confédérations, clans et grandes familles, nous sommes ici sur les territoires des Afridis, des Chinwaris, des Mohmands et des Khogianis, dont les structures sont cependant bouleversées par des décennies de guerres, de déplacements forcés et d’exil. En Afghanistan, les Patchounes contrôlent Kaboul et sont hégémoniques face au reste de la mosaïque démographique afghane (Turkmènes, Ouzbeks, Tadjiks, Hazaras…). Au Pakistan, en revanche, ils sont minoritaires et géographiquement marginaux. Mais Islamabad veut contrôler ses frontières avec les zones tribales des Federally Administered Tribal Areas (FATA), dont la capitale était Peshawar jusqu’à son intégration, en 2018, à la province de Khyber Pakhtunkhwa. Depuis 1947, le Pakistan est hanté par les velléités d’autonomie des Pachtounes et des Baloutches et par la recherche d’une certaine profondeur stratégique face au rival indien, le poussant à vouloir satelliser l’Afghanistan.
UNE TERRE RAVAGÉE PAR DES GUERRES DEPUIS 1979
Ce territoire sort ravagé par quatre décennies de conflits et d’interventions extérieures, la mobilisation et l’instrumentalisation d’un l’islam politique radical et, enfin, la montée de la culture de l’opium qui occupe une large partie des périmètres irrigués du piémont du Nangarhar. C’est ici que furent utilisés, dès 1986, les premiers missiles sol-air « Stinger » américains contre les hélicoptères russes, mettant fin à l’avantage tactique et stratégique considérable que représente la maîtrise du ciel dans ces espaces montagnards. C’est au sud-est de la chaîne du Safed Koh, dans les grottes de Tora Bora, que l’US Army trouva en 2001 des arsenaux utilisés par les talibans et Al-Qaïda, et où était censé se cacher Oussama ben Laden (1957-2011). C’est dans le même complexe que furent détruits, en avril 2017, des groupes islamistes radicaux par des bombes américaines à haute perforation. Avec le départ des États-Unis, c’est leur puissante base verrouillant la vallée de la Kunar qui est abandonnée. Car dans ce conflit asymétrique en terrain difficile et complexe, Washington – après Londres et Moscou – s’aperçoit de l’impuissance de la force militaire pour imposer un ordre politique et géostratégique venu de l’extérieur. Pour autant, la région demeure une poudrière. L.
Les images satellites sont devenues incontournables dans de nombreuses pratiques tant professionnelles que personnelles. Leur utilisation dans un cadre pédagogique est désormais courante. Ainsi, Carto s’est associée avec le Centre national d’études spatiales (CNES) et le ministère de l’Éducation nationale et de la Jeunesse, qui ont développé le site GéoImage (https:// geoimage.cnes.fr), pour montrer les enjeux du monde vus d’en haut. En couleurs naturelles de résolution à 10 mètres, cette image de la passe de Khyber, principal axe de passage entre l’Afghanistan et le Pakistan, a été prise le 25 décembre 2019 par le satellite Sentinel 2A