Goodbye Mister Wong : une lenteur émancipatrice
Goodbye Mister Wong est un film hybride, tantôt ancrant son esthétique dans la nouvelle vague, tantôt empruntant à marguerite duras (1914-1996) son rythme, ses thèmes, ses imaginaires. ce long métrage franco-laotien est l’un de ces films dans lesquels le réalisateur s’efforce de ne pas laisser son histoire être submergée par la grâce photogénique de son lieu, sans y parvenir toutefois.
Kiyé Simon Luang offre un film lent et contemplatif qui nous plonge dans une évocation finement élaborée d’un Laos contemporain, avec ses défis économiques et les séquelles de son passé colonial. Dans cet ancien protectorat français (18931954) évolue France, une jeune Laotienne de père français venant rejoindre sa famille rurale ouvrière sur les rives du lac Nam Ngum (il s’agit précisément d’un réservoir), situé à environ 90 kilomètres au nord de Vientiane, la capitale. Elle y gère un petit service de bateaux traditionnels. Au tableau vient s’ajouter Tony Wong, un riche homme d’affaires chinois en visite dans la région ayant pour projet de transformer les abords de ce lac en une station touristique rentable et d’épouser France. Pour compléter la fresque, plusieurs personnages gravitent autour de cette femme envoûtante : Xana, un ouvrier du fleuve, dont le réalisateur suggère une relation passionnée avec France et à qui Tony Wong a offert un emploi en Chine ; Toui, un jeune homme timide et travailleur ; Hugo et Nadine, un couple de Français énigmatiques en crise. Le personnage de France est le centre magnétique du film, la seule qui semble avoir un sens clair de la situation dans son ensemble, là où les autres personnages paraissent traverser le tableau en somnambules.
RÉSISTER À LA PRÉSENCE ÉTRANGÈRE
Avec des dialogues en quatre langues – français, laotien, chinois et anglais –, ce film quelque peu fragmenté à la narration floue dérive d’un épisode à l’autre, maintenant ses personnages dans un état de suspension non résolu au bord du Nam Ngum. Mais ce cadre captive ; la beauté immobile du lieu évite l’écueil de la carte postale et le réalisateur mène une réflexion sur les pièges de son embellissement. Sous ses airs de mélo contemplatif, Goodbye Mister Wong est aussi une proposition sur les stigmates du néocolonialisme. Alors que la présence française a progressivement pris fin entre 1945 (présence japonaise lors de la Seconde Guerre mondiale) et 1954 (fin de la guerre d’Indochine), elle a été remplacée par la domination économique chinoise. Dès lors, l’extrême lenteur mise en scène et investie par Kiyé Simon Luang marque une forme de résistance. Résistance passive du lac lui-même et de ses habitants face à une prédation capitaliste assumée et débridée. Le lac Nam Ngum est pleinement incarné, étant un personnage à part entière. Son calme est celui dans lequel le réalisateur semble irrémédiablement vouloir nous plonger : la lenteur et la sérénité pensées comme forces politiques et choix émancipateurs.