The Earth Is Blue as an Orange: poésie et champ de mines
le documentaire d’iryna tsilyk, The Earth Is Blue as an Orange, ne pourrait être plus opportun ou pertinent alors que la guerre fait rage en ukraine depuis février 2022. en 2014, la ville de krasnohorivka, située à la frontière orientale du pays, à une quarantaine de kilomètres à l’ouest de donetsk, se retrouvait déjà en première ligne d’un conflit entre les séparatistes prorusses et l’armée ukrainienne.
Au centre du film se trouve l’histoire de la famille Trofymchuk-Gladka. Au coeur de Krasnohorivka bombardée, Anna et ses quatre enfants parviennent à faire de leur maison un havre de paix plein de vie. Elle a décidé de rester en ville plutôt que de fuir. Si son quotidien est fait de files d’attente pour obtenir de la nourriture, de gestion des problèmes d’approvisionnement en électricité et en eau, il est aussi rempli par l’art et la création. Tous les membres de la famille ont une passion pour le septième art. Alors quand Myroslava, la fille aînée, est admise dans une école de cinéma à Kyiv, il est inévitable que son premier film soit une création collégiale : la famille forme l’équipe de production et le casting d’un court métrage inspiré de sa propre vie pendant la guerre. Myroslava filme, sa soeur Nastya dirige les prises de vue, sa mère Anna coupe, ses petits frères Vladyslav et Stanislav ont le droit de claquer le clap de temps à autre. Pour Anna et ses enfants, surmonter un traumatisme en faisant une oeuvre d’art est le moyen ultime d’avancer et de mettre en action, de faire vivre, leur humanité. L’ensemble du processus, du script à la réalisation en passant par la projection, est une manière pour les membres de cette famille de transformer l’expérience de la guerre en création : l’art comme stratégie de survie. Au-delà de la beauté du projet familial, pour les spectateurs, la mission première de ce documentaire est de donner des clés pour imaginer ce que c’est que de vivre au milieu d’une zone de conflit. D’ailleurs, le film s’ouvre sur l’angoisse et la réaction d’Anna et de ses enfants face à l’explosion d’un mortier à proximité de leur maison. Régulièrement, alors qu’ils tournent des interviews pour leur court métrage, Anna est en proie au doute et à l’amertume, se demandant si sa décision de rester à Krasnohorivka n’était pas une erreur. Ces moments de témoignages directs sont particulièrement saisissants. Avec une simplicité et une sincérité désarmantes, les garçons de la famille se livrent avec leurs propres mots sur la manière dont la guerre les affecte émotionnellement et psychologiquement. Née à Kyiv en 1982, récompensée au festival de Sundance en 2020 pour ce film, Iryna Tsilyk parvient à saisir de façon quasi obsédante le contraste entre la sécurité de ce havre familial et la destruction dans les rues. La guerre elle-même commence presque à prendre un caractère provisoire, imaginaire, au milieu de la fiction. Des échappatoires créatives s’ouvrent pour s’en défaire. Vers la fin, l’un des garçons s’essaye à une mélodie folklorique à l’accordéon, accompagnant le tout d’une mélodie chantée, joyeuse et inattendue.