Les déserts sont-ils partout ?
à l’occasion de la 33e édition du festival international de géographie de saint-dié-desvosges, du 30 septembre au 2 octobre 2022, thibaut sardier, président de l’association pour le développement du fig, évoque l’imaginaire du thème de l’année, les déserts, et la réalité de territoires méconnus.
On fait souvent rimer « désert » avec « vide ». Comme dans un passage du Crabe aux pinces d’or d’Hergé (1907-1983) : terrassé par la chaleur, le capitaine Haddock croit voir un lac ou une bouteille de champagne au bout d’une dune. Mais il n’y a rien. Les espaces désertiques, qui représentent entre le quart et le tiers des terres émergées du globe, seraient donc des territoires vierges de toute présence humaine ? Évidemment non. La meilleure attitude face aux déserts est peutêtre moins celle de Haddock que celle des héros de Dune, roman de Frank Herbert (1920-1986) dont l’adaptation cinématographique de Denis Villeneuve, sortie en 2021, a été tournée en Jordanie. Lorsqu’ils découvrent la planète Arrakis et son désert, les héros tombent sur un ver géant qui menace de les dévorer : il y a, dans ces espaces que l’on croit vides (et qui se caractérisent plutôt par de faibles densités de population), des choses insoupçonnées ! Surtout, il existe des façons multiples de les habiter en dépit de contraintes comme l’aridité, l’amplitude thermique et les températures très élevées ou très basses.
Le FIG fera ainsi escale dans des cités du désert, toutes différentes. Masdar City, aux Émirats arabes unis, ou le projet « Neom », en Arabie saoudite, sont des villes qualifiées de « futuristes » du fait d’un usage intensif des nouvelles technologies. Ces cas parfois médiatisés ne doivent pas faire oublier des espaces urbains anciens qui ont évolué en fonction des contraintes climatiques, politiques ou sociales. À Oman, des oasis remontant au Néolithique ont structuré le territoire jusqu’au XXe siècle et connaissent des changements depuis une politique de modernisation amorcée dans les années 1970, qui a vu se développer l’urbanisation dans le pays. Dans les oasis marocaines, l’étude de techniques architecturales anciennes et leur utilisation pour des constructions récentes semblent ouvrir la voie à des bâtiments durables, susceptibles de répondre aux besoins des habitants d’aujourd’hui.
RÉFLÉCHIR SUR NOS MODÈLES DE VIE
Dans Dune, la présence de puissances étrangères sur Arrakis rappelle l’importance de la géopolitique dans l’analyse des déserts. Elle sera développée à Saint-Dié-des-Vosges, tout comme les questions d’exploration, de conquête et de colonisation. Arrakis est aussi riche d’une épice rare, ramassée par des moissonneusesbatteuses… Cette mise en culture fictionnelle évoque l’importance stratégique des déserts de la Terre pour l’obtention de certaines ressources. C’est vrai en agriculture : on trouve des vignobles dans les espaces arides chinois ou latino-américains, l’eau souterraine du Sahara a permis de cultiver certains espaces dans le sud de l’Algérie, des « fronts agrodésertiques » se forment en Israël, en Arabie saoudite, aux Émirats arabes unis ou en Égypte… Puis, à l’heure où l’anthropocène impose de réfléchir à l’énergie et aux ressources que nous consommons, c’est souvent dans les déserts que nous puisons hydrocarbures, terres rares, uranium ou métaux, de la péninsule Arabique aux déserts de sel sud-américains. Ce voyage qui nous conduira du Sahara à l’Atacama et au Gobi ne sera pas si éloigné de nous, puisqu’il s’interrogera sur notre lien à ces espaces particuliers, à l’heure de la mondialisation. Il passera même par la France. On n’y trouve pas de désert au sens propre, mais la faible densité démographique de certains territoires et le manque de services conduisent à parler de « déserts » médicaux, alimentaires, culturels… Les déserts seraient donc partout ?