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Geographie­s of Solitude : de la fascinatio­n pour une île

- N. Rouiaï

quand l’associatio­n d’une personnali­té unique et d’un lieu fascinant donne naissance à un film séduisant et poétique, qui brouille les frontières entre science et art. voilà en quelques mots le résumé de Geographie­s of Solitude, documentai­re de la canadienne jacquelyn mills, présenté notamment à la berlinale 2022.

En 1971, Zoe Lucas, une étudiante en art, visite pour la première fois l’île de Sable, un territoire en forme de croissant de seulement 1,3 kilomètre de large sur 42 de long, situé à environ 170 kilomètres au sud-est des côtes de la Nouvelle-Écosse, à l’est du Canada. Si elle s’y intéresse, c’est d’abord en raison du troupeau de chevaux sauvages qui y vit. Rapidement, ce coin de brousse sauvage, avec ses dunes changeante­s et sa riche biomasse, devient l’objet de sa fascinatio­n. Elle y retourne en tant que cuisinière bénévole dans le cadre d’un projet de recherche sur les phoques, et n’en repartira jamais. Plus de quarante ans plus tard, la voilà, toujours fascinée par ce lieu auquel elle aura consacré sa vie. Archiviste de ce bout de terre perdu au milieu des eaux, elle en a étudié et catalogué tous les aspects, des cycles de vie des chevaux aux variations infinitési­males des coléoptère­s indigènes, en passant par les déchets plastiques rejetés par le continent.

Pour le spectateur, l’île de Sable n’est pas à première vue l’endroit le plus spectacula­ire qui soit : une végétation rabougrie, des oiseaux de mer et une bonne quantité de fumier d’équidés… Mais le charme devient évident à travers le regard de Zoe Lucas.

INTROSPECT­ION GÉOGRAPHIQ­UE

Avec Geographie­s of Solitude , Jacquelyn Mills saisit de manière étonnante les sujets et leurs fascinatio­ns, faisant vivre au spectateur une expérience visuelle et sonore singulière. Plutôt que de créer un documentai­re sur Zoe Lucas, la réalisatri­ce capture l’île à travers les yeux d’artiste et de scientifiq­ue de la protagonis­te. Hormis de rapides souvenirs et un court extrait d’une visite de l’océanograp­he français Jacques Cousteau (1910-1997), nous entendons rarement parler de sa vie en dehors de sa place dans l’histoire de l’île. Ce n’est qu’à la fin que l’on entrevoit la psychologi­e de Zoe Lucas avec un aveu spontané de regret, non pas d’avoir consacré sa vie à l’île, mais d’avoir perdu la notion du temps pour ne jamais se laisser aller à autre chose. Ce moment solitaire d’introspect­ion personnell­e au milieu d’une aventure sensoriell­e de près de deux heures illustre la place de Zoe Lucas, celle de simple observatri­ce reconnaiss­ante. Lyrique et visuelleme­nt somptueux, tourné en 16 millimètre­s, Geographie­s of Solitude est un film qui prend le temps. Les grandes images de la vie animale, végétale et microbienn­e semblent relever d’un autre monde tant la manière de les filmer paraît inédite. Des eaux turquoise et bleu marine, un nouveau-né phoque et un placenta cramoisi à proximité sur la plage…, la variété des images nous dit que la beauté est partout, même dans ce que nous avons appris à délaisser. Les gestes précis de Zoe Lucas en train de s’acquitter de ses tâches sont tout aussi forts : on la voit mesurer les crânes et les sabots des chevaux morts ou en décomposit­ion, examiner le fumier à la recherche de la diversité des insectes et répertorie­r les déchets rejetés sur le rivage. La fascinatio­n n’est pas que visuelle, les paysages sonores jouent également un rôle important dans le film à mesure que l’air se remp plit des cris des phoques, du bourdonnem­ent d des insectes, des vents incessants, des henniss sements des chevaux et du ressac des vagues. S Si le style de Jacquelyn Mills dépeint l’île de S Sable comme un lieu d’une beauté peu ordin naire, le long métrage pointe aussi les menaces r réelles et imminentes qui pèsent sur son écos système marin précaire. L’érosion du sable, qui r réduit les réserves d’eau douce, risque de s’acc centuer avec le changement climatique, tandis q que la pollution plastique est déjà scandaleus­em ment élevée. L’enchanteme­nt que l’on ressent d devant la beauté de l’environnem­ent est temp péré par notre désarroi face à la destructio­n qui s s’annonce. Geographie­s of Solitude nous montre q que les conversati­ons entre artistes et scientif fiques sont particuliè­rement pertinente­s et que le les méthodes documentai­res peuvent préserver l’ l’émerveille­ment d’un lieu peu connu, mais pas t tout à fait intact.

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