Du pétrole vénézuélien
Le conflit frontalier qui oppose le Venezuela et son voisin porte sur l’essequibo, territoire de 160 000 kilomètres carrés, soit près de 70 % du Guyana, habité par environ
130 000 personnes, en majorité des Amérindiens, et délimité par le fleuve du même nom. Une première tentative de résolution a lieu en 1899, quand une sentence arbitrale rendue à Paris octroie cette région au Royaume-uni, alors puissance coloniale de la Guyane britannique (1831-1966). Une protestation de Caracas en 1963 aboutit trois ans plus tard à un accord transitoire à Genève, sans que la situation soit tranchée. Les revendications sont gelées en 1970, avant que le Venezuela ne porte la question devant les Nations unies en 1982. Le différend tombe dans l’oubli. La découverte progressive depuis 2015, au large des côtes, par la compagnie américaine Exxonmobil, de gisements pétroliers de quelque 11 milliards de barils, ainsi que de gaz et de métaux rares, relance le conflit. L’exploitation démarre en 2019. Cette manne a généré une croissance sans précédent de
43,5 % en 2020 et de 63,4 % en 2022, de quoi raviver les convoitises du Venezuela.
AMBITIONS TERRITORIALES
Revendicatif depuis 2021, notamment en violant la souveraineté maritime et aérienne du Guyana, Caracas organise donc un référendum portant sur la création de la « Guayana Esequiba », approuvé par 95,9 % des votants avec un taux de participation de 51 %. Malgré la condamnation de la communauté internationale, les autorités incluent dans la foulée ce nouveau département sur les cartes officielles du pays et dépêchent sur place des militaires. Si ce vote a été voulu pour des raisons aussi bien économiques que de politique intérieure, une élection présidentielle étant prévue courant 2024, il a contribué à une montée des tensions. L’envoi d’un patrouilleur britannique dans les eaux du Guyana a provoqué en représailles la tenue d’exercices militaires vénézuéliens. Les grandes puissances se mêlent également de ce différend : le Brésil propose sa médiation et envoie des soldats à sa frontière avec les deux voisins, l’armée des États-unis survole la région. Cette situation est à contextualiser au regard de la place singulière du Venezuela au sein du système commercial mondial du pétrole. L’élection contestée de Nicolás Maduro en 2013 a été suivie en 2017 par la mise en place de sanctions par l’administration Donald Trump (2017-2021) et l’union européenne (UE). En avril 2019, les États-unis décrètent un embargo sur le brut vénézuélien, espérant pousser le président vers la sortie. Les recettes pétrolières représentent alors 96 % des revenus du pays. Ses réserves de brut sont estimées à 304 milliards de barils, les plus importantes de la planète.
DES « NAVIRES FANTÔMES »
Étouffé, le Venezuela se tourne vers un système de contournement, mettant en place une « flotte fantôme » de tankers. Aidé par l’iran, lui aussi sous sanctions, il a déployé des bateaux passant sous les radars afin d’exporter le pétrole, principalement vers la Chine, son premier acheteur. En 2023, on estime que la République populaire a reçu près de 430 000 barils de pétrole vénézuélien par jour. Qualifiée de « dark fleet », cette flotte use de nombreuses stratégies pour se dissimuler. Souvent anciens (plus de 15 ans), ces navires ne sont pas entretenus selon les normes en vigueur. Ils évitent les ports, préférant des échanges avec d’autres bateaux en haute mer. Opérant sous pavillons de complaisance situés au Panama, à Malte ou au Liberia, ils appartiennent à des propriétaires résidents des Émirats arabes unis, de la Grèce ou de Hong Kong. Ils peuvent aller jusqu’à désactiver leur émetteur GPS ou changer d’identification. La guerre en Ukraine et les sanctions contre la Russie ont renforcé cette « dark fleet » ; on estime que 12 % des pétroliers à l’échelle mondiale entrent dans cette catégorie.
Le retrait du pétrole russe du commerce global a néanmoins entraîné une inflexion de la position américaine. En octobre 2023, le gouvernement Joe Biden (depuis 2021) a accordé une levée de l’embargo sur le brut vénézuélien pour six mois renouvelables. En mai, l’entreprise californienne Chevron avait déjà été autorisée à relancer sa coentreprise avec la société d’état PDVSA. En parallèle, des mesures sont mises en place pour réduire les « flottes fantômes » : en décembre 2023, l’organisation maritime internationale (OMI) a voté une résolution visant à lutter contre ces pratiques. L’évolution de la position américaine montre toutefois la crainte que le Venezuela retrouve une place au sein d’un nouveau système international qui regrouperait la Russie, la Chine et l’iran.