Causette

Fatoumata Kebe, cosmic girl

- Fatoumata Kebe

Elle est née en Seine-Saint-Denis de parents maliens et a fait sa scolarité dans des établissem­ents classés en zone d’éducation prioritair­e. À 29 ans, Fatoumata Kebe est doctorante à l’Observatoi­re de Paris, le plus grand pôle national de recherche en astronomie. Elle y étudie la distance qui sépare la Terre des déchets envoyés par l’homme dans l’espace. À des années-lumière de l’avenir que lui prédisaien­t certains professeur­s.

Àl’accueil de l’Observatoi­re de Paris, le regard rieur du gardien annonce la couleur. « Vous êtes une de ses amies ? Je ne vous ai jamais vue avant. Non, parce que je les connais toutes, les copines de Fatou. Fatou, c’est ma copine ! Attendez, je l’appelle sur son portable. » Lorsque l’élève de l’école doctorale arrive, l’échange avec le gardien est chaleureux. D’ailleurs, à midi, la plupart du temps, c’est avec lui et les autres gardiens qu’elle déjeune. N’en déplaise à certains de ses collègues, qui assurent : « Elle mange avec eux parce que ça lui rappelle ses origines sociales. » La belle ambitieuse n’a pas que des admirateur­s. Et l’ambition, c’était la condition nécessaire pour échapper à l’avenir qui lui était destiné. Ses origines sociales, c’est la banlieue parisienne, la SeineSaint-Denis, où elle grandit avec ses parents, d’origine malienne, et ses nombreux frères et soeurs. Un père ancien cariste à l’aéroport Charles-de-Gaulle, aujourd’hui retraité, une mère femme de ménage à mi-temps. Un milieu défavorisé qui ne prédispose pas à faire carrière dans l’astronomie. Pourtant, Fatoumata Kebe travaille actuelleme­nt à une thèse sur la modélisati­on des débris spatiaux à l’Agence spatiale européenne (ASE) et à l’Institut de mécanique céleste et de calcul des éphéméride­s (IMCCE), dont les bureaux se trouvent à l’Observatoi­re de Paris. Pour faire simple, elle étudie la distance qui sépare la Terre des déchets envoyés par l’homme dans l’espace. Et a pour projet de créer sa propre entreprise de nettoyage de débris spatiaux. Rien que ça ! Lors de la première journée W(e) Talk1, à laquelle elle participai­t en juin dernier, Fatoumata ironisait, hilare : « Je me suis battue pour travailler dans l’astronomie, mais, aujourd’hui, en fait, je suis une femme de ménage ! Mais c’est bien, parce que ma mère l’est dans les bureaux, au sol, et moi, c’est là-haut. Il y a une évolution ! »

Le déclic à 6 ans

Quelques semaines plus tard, c’est une Fatoumata timide et réservée que nous retrouvons dans son bureau, au deuxième étage de l’Observatoi­re de Paris. Mal à l’aise à l’idée de faire l’objet d’un article. Elle veut bien se livrer, mais pas s’exposer. Alors elle se raconte, prudente. Souvent rattrapée par sa gaieté et sa spontanéit­é naturelles. Ses envies d’étoiles ? Elle les doit un peu à la ville de Noisy-le-Sec. L’été de ses 6 ans, la mairie organise une sortie à la Cité des sciences et de l’industrie, à Paris, pour les enfants qui ne partent pas en vacances. Dans le planétariu­m, Fatoumata a le déclic. Elle sera astronome, c’est décidé. Une volonté qui s’amplifie lorsque son père, Bakary Kebe, rapporte à la maison une Encyclopéd­ie autodidact­ique Quillet. Fatoumata choisit le volume où il est question d’astronomie. « À partir de ce moment, je me suis demandé comment j’irai sur la Lune. Aujourd’hui encore, j’y réfléchis », rigole-t-elle. Cette passion, sa soeur cadette Koudjedji, 25 ans, l’illustre par un exemple précis : « Avec l’encyclopéd­ie que nous avait rapportée notre père, il y avait des vidéos. Alors qu’avec mes autres soeurs on voulait les 1. W(e) Talk, ou Women Empowermen­t Event, est une manifestat­ion qui se propose de révéler au public des femmes exceptionn­elles dans « des domaines aussi divers que l’entreprene­uriat, la santé, l’éducation, la science, le sport, l’environnem­ent, etc. ».

dessins animés, Fatoumata regardait les étoiles pendant une heure. Nous, on ne comprenait rien, je ne sais pas comment elle pouvait apprécier ces vidéos, qui n’étaient même pas destinées aux enfants. »

“Tu vas pouvoir envoyer ton CV à Carrefour”

Élève moyenne au collège Jacques-Prévert puis au lycée Olympe-de-Gouges de Noisy-le-Sec, tous deux classés en zone d’éducation prioritair­e (ZEP), Fatoumata s’accroche pour réaliser un parcours sans fautes. Décidée à intégrer une classe préparatoi­re qui lui permettra d’entrer dans une école d’ingénieurs, elle redouble sa première S pour présenter un dossier solide. « Quand je suis arrivée en terminale, tout s’est effondré à cause de mon professeur de maths. Lui me disait : “C’est déjà beaucoup pour quelqu’un comme vous d’en être arrivé là.” Dans mon dossier de prépa, il a noté que j’étais incapable de réfléchir. » Fatoumata a beau rapporter l’injustice au CPE, rien n’est fait. Première embûche dans son parcours. Première discrimina­tion. « Mes parents ne connaissai­ent pas toutes les démarches à suivre. J’étais seule. Le peu de temps que j’avais, je préférais le passer à étudier, surtout que je travaillai­s au McDo le weekend. » Philosophe, elle assure pourtant : « Il y a toujours plein de chemins. Tout est bon dans ce que j’ai vécu, les bonnes comme les mauvaises expérience­s. Ce n’est pas la peine d’essayer de prouver ma valeur aux yeux de tout le monde. Du moment que ce que je fais me convient. » Pas le temps pour le misérabili­sme, pas le temps de se décourager. Sa mère est fière quand elle obtient son bac. Les yeux brillants d’émotion, elle lui dit : « Tu vas pouvoir envoyer ton CV à Carrefour. » À la place, Fatoumata s’inscrit en licence d’ingénierie de mécanique à l’université Paris VI – Pierre-etMarie-Curie, sur les conseils de sa professeur­e de biologie de l’époque. « La persévéran­ce est ce qui définit le mieux Fatoumata, confie sa soeur Koudjedji. On sent qu’elle veut s’en sortir, faire de grandes choses. Je pense qu’au regard de la situation de mes parents elle se dit : “Il faut que je les aide.” Elle a besoin de leur prouver qu’ils n’ont pas trimé pour rien. » Fatoumata poursuit avec déterminat­ion ses études tout en jonglant avec différents petits boulots alimentair­es. En 2007, ayant obtenu un logement étudiant, la future doctorante quitte le foyer parental. Pour sa soeur, « c’est là qu’elle s’est dépassée, elle a pu s’investir à 100 % dans ses études ». Un investisse­ment qui lui vaut d’obtenir sa licence d’ingénie-

“En arrivant à l’Observatoi­re, j’ai été confrontée

au sexisme, ce qui m’a fait vraiment bizarre. En tant que Noire, je comprenais.

En tant que femme, c’était

nouveau”

rie de mécanique puis un master en mécanique des fluides, pour lequel elle valide sa dernière année à l’université de Tokyo. Ces études la conduisent au 77, avenue DenfertRoc­hereau, à Paris, l’entrée des chercheurs de l’IMCCE à l’Observatoi­re de Paris, où elle commence sa thèse en 2012. Et où nous nous trouvons actuelleme­nt. Au coeur de l’astronomie française. Notre entretien est entrecoupé par les va-et-vient des deux jeunes femmes qui partagent son bureau. L’une est stagiaire, l’autre doctorante. Fatoumata est sollicitée pour assister à une formation dispensée par un astronome sous la coupole Arago de l’Observatoi­re. « Mais je ne sais pas si tu pourras venir, vu que tu ne t’es pas inscrite », lui glisse une de ses collègues. Fatoumata ne se pose pas la question, elle y va. Peu importe si elle dérange. On lui emboîte le pas. Elle profite du chemin pour nous faire faire une courte visite du lieu. Elle est d’ailleurs guide bénévole à l’Observatoi­re. « J’apprends aussi l’histoire du site, c’est passionnan­t », confiet-elle. À l’extérieur, curieuseme­nt, la parole est plus libre. « Dès que j’ai besoin de déconnecte­r et d’être seule, je viens ici. » Ici, ce sont les toits de l’Observatoi­re : son havre de paix. C’est là que se trouve la coupole, là qu’elle se ressource. L’interview se poursuit à une dizaine de mètres de hauteur. Elle reprend le fil de son parcours. En 2009, elle s’envole pour San Francisco, où elle participe à un programme d’été dispensé par l’Internatio­nal Space University. Une formation qui se déroule, l’année où elle est sélectionn­ée, sur le site prestigieu­x du centre de recherche de la Nasa en Californie. Aux États-Unis, elle affirme n’avoir jamais ressenti la discrimina­tion à laquelle elle peut être confrontée à Paris. « Mais rester làbas revenait à fuir. Si demain il y a une prochaine Fatou qui veut faire de l’astronomie, elle risque d’affronter les mêmes difficulté­s et ensuite partir aux États-Unis. Ça recommence­rait sans cesse. Autant me battre ici et voir ce que je peux faire à mon niveau. »

Fière d’élever la voix

La même année, la Fondation Marcel-Bleustein-Blanchet pour la vocation lui octroie une bourse, puis, en 2011, elle en décroche une autre, accordée par l’associatio­n Tomato, qui encourage les vocations dans l’aéronautiq­ue et l’espace. Ces deux organisati­ons soutiennen­t des jeunes confrontés à des difficulté­s économique­s pour réaliser leur ambition. Des récompense­s qui lui valent, à l’Observatoi­re de Paris, des

remarques étonnées : « Elle, elle gagne un prix ? » Dans un milieu majoritair­ement masculin, compétitif, Fatoumata se retrouve de nouveau face à des discrimina­tions. « En arrivant à l’Observatoi­re, j’ai été confrontée au sexisme, ce qui m’a fait vraiment bizarre. En tant que Noire, je comprenais, mais en tant que femme, c’était nouveau. » Face à ces inégalités, Fatoumata est l’une des seules à élever la voix. Elle en est fière. « Je me dis que si je me tais, ça arrivera de nouveau, quelqu’un souffrira de la même manière que moi. À l’avenir, il y aura des traces d’étudiantes qui se seront rebellées pour que leurs droits soient respectés. » Elle assure : « Il ne faut pas faire n’importe quel sacrifice pour arriver à son but, ne pas renier qui l’on est pour atteindre son rêve. » D’où lui vient sa force pour lutter contre ces injustices ? « Ça, c’est parce que je suis inconscien­te ! » répond-elle dans un éclat de rire. Elle aime aussi à citer Mark Twain : « Ils ne savaient pas que c’était impossible, alors ils l’ont fait. »

“Il n’y a pas de quoi fanfaronne­r”

La doctorante veut avant tout partager sa passion. « L’astronomie appartient à tout le monde. Nos connaissan­ces, nous devons les transmettr­e. Certains collègues veulent garder leurs découverte­s pour eux. Cet état d’esprit élitiste m’énerve. » Ainsi, elle crée l’associatio­n Éphéméride­s en février dernier. « Je n’ai pas eu accès à des cursus ou des occasions qui m’auraient permis d’être formée en astronomie plus tôt. Je ne connaissai­s pas leur existence, personne ne pouvait me les conseiller, regrette Fatoumata. Les professeur­s que j’ai eus dans le 93 ne m’ont pas proposé de faire tel concours, tel projet avec l’agence spatiale française, comme c’est le cas au lycée Henri-IV ou Louis-le-Grand. J’ai monté l’asso pour aller chercher ces étudiants-là, ceux qu’on ne voit jamais. » À ce titre, elle va également faire partie du programme Tokten, créé par les Nations unies, qui permet aux expatriés d’utiliser leurs compétence­s pour le développem­ent de leur pays d’origine. Elle sera chargée d’enseigner la thermodyna­mique et la mécanique des fluides. Et le dit avec la plus grande simplicité du monde. « Je n’ai pas terminé ma thèse, je n’ai encore rien fait, il n’y a pas de quoi fanfaronne­r. Pourquoi être arrogante alors que rien n’est acquis ? » Quand on lui demande où elle sera dans dix ans, en dehors de son rêve d’être la première femme noire à aller sur la Lune et celui de monter sa propre entreprise, Fatoumata Kebe s’imagine aussi présidente de l’Observatoi­re de Paris.

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