Marie-France Monéger-Guyomarc’h, femme d’Intérieur
Marie-france Monéger-guyomarc’h
Femme d’abord. Flic surtout. Depuis 2012, elle est la patronne des « boeuf-carottes ». Mais qui connaît Marie-France Monéger-Guyomarc’h ? Aussi pétulante que chevronnée, la directrice de la police des polices mérite le détour. Championne de la parité dans un ministère dopé à la testostérone, elle préside depuis un an l’association Femmes de l’Intérieur, dont l’objectif est de lutter contre les préjugés sexistes. Pour “Causette”, elle a accepté d’être placée en garde à vue. Elle en est ressortie libre. Et souriante.
À57 ans, Marie-France Monéger-Guyomarc’h se dit fière d’avoir eu « ce parcours très diversifié, qui n’est pas si courant que ça dans la maison ». Et quand on lui pose la question cliché « Ce n’est pas trop difficile lorsqu’on est mère de deux enfants ? » elle répond : « J’ai eu la chance d’avoir un mari qui a toujours partagé les tâches équitablement. » Trente-six ans de police ont permis à cette femme dynamique de prendre conscience de la permanence des stéréotypes sexistes dans un ministère essentiellement masculin. Elle a ainsi pu remarquer que, paradoxalement, les femmes elles-mêmes en sont souvent les avocates les plus zélées. Sourire en coin. Elle se souvient : « Alors que j’étais jury dans un concours, j’ai vu arriver une femme avec une jupe fendue. Je n’ai pu m’empêcher de lui faire une réflexion… Elle m’a répondu. Elle a bien fait. » Aux médailles honorifiques, képis et autres casques d’intervention qu’on retrouve fréquemment dans les bureaux de flics, la cheffe de l’Inspection générale de la police nationale (IGPN) préfère les orchidées, les bonsaïs et la musique classique, qui infuse à toute heure dans son bureau de la place Beauvau. Si vous passez à la nuit tombée, alors peut- être entendrez- vous filtrer sous la porte la pop irlandaise des Corrs, « plus tonique » pour potasser les piles de dossiers qui s’accumulent sur son bureau. Depuis quinze ans, c’est le regard pénétrant d’un Touareg – vestige d’un calendrier Géo dont elle n’a jamais eu le courage de se défaire – qui la couve et l’inspire.
“J’entrais dans la police avec deux handicaps”
Née en Tunisie d’une mère allemande et d’un père corrézien et militaire, elle a grandi à Strasbourg et se décrit comme « une grosse bosseuse, directe, épou- vantablement gourmande – je craque tout le temps sur tout –, assez pédago mais un peu têtue ». On pourrait ajouter exigeante, élégante, prévenante, foisonnante. De cette femme aux cheveux courts et aux yeux bleus se dégage une bienveillance bluffante. « Je me suis lancée dans le droit pour devenir magistrate, confesse- t- elle devant un verre de Coca. Mais je me suis rendu compte assez rapidement que j’avais soif de terrain. Et de commandement… » En 1978, elle intègre la quatrième promotion de femmes commissaires. C’est l’époque où 10 % des postes sont réservés aux frangines. À 23 ans, elle sort de l’école. « Ça a été un peu compliqué, avoue- t- elle. J’étais une femme et j’étais jeune. Autant dire que j’entrais dans la police avec deux handicaps majeurs. » Après un premier poste à Strasbourg au sein du groupe de répression du banditisme, elle est nommée à la brigade des stups de Nice. « C’était une nouvelle région, une nouvelle spécialité. Pendant quatre ans, je me suis éclatée “à donf”, comme disent les jeunes. Il suffisait de se baisser pour “faire des affaires”. » Comprenez : pour attraper des délinquants. En une microseconde, la baguette de la nostalgie travestit l’académique langage de bureau en
la plus sympatoche des gouailles de terrain. « Cette époque, ce sont mes plus beaux souvenirs d’enquête : les hasards, heureux et malheureux, la chance qu’on provoque, des saisies extraordinaires, les opérations de folie où on se dit : “On les a ratés, mais on va les rebecqueter”, les voyous qui manquent de vous détroncher à Antibes à 3 heures du matin… Ce furent vraiment quatre années de pur bonheur avec des journées qui n’avaient pas de fin, des périodes de trois mois sans un seul week-end et des planques avec deux heures de sommeil. »
“Naturellement, vous allez faire un bébé…”
Après les plages azuréennes, les rives de la Loire : Marie- France Monéger-Guyomarc’h s’installe au SRPJ d’Angers, où, pendant « trois belles années » , elle dirige la section criminelle. Mais alors qu’elle cherche à s’installer à Paris, où elle a rencontré le commissaire qui va devenir son mari, elle déchante. « Je postulais sur tout ce qui passait, rien ne me souriait. » Elle a 30 ans. Certains supérieurs ne peuvent s’empêcher quelques remarques désopilantes : « Naturellement, vous allez faire un bébé. Ici, on demande l’autorisation du directeur central avant d’avoir un enfant… » Comprenant qu’elle ne trouvera pas de poste en police judi- ciaire, elle décide de « prendre un virage incroyable » et bifurque vers la formation des policiers. Une expérience qui dure dix ans et où elle réalise qu’elle est aux commandes du « plus fabuleux levier du changement » . Le « second grand virage » se situe quand elle prend la sous-direction de la lutte contre l’immigration irrégulière. Au menu : tour du monde et initiation aux arcanes de la diplomatie. Les défis s’enchaînent : après la police aux frontières, elle passe aux ressources humaines puis à la communication, avant de revenir à la formation. « Ça me passionne. Si je n’avais pas été flic, j’aurais travaillé à l’Éducation nationale... » En septembre 2012, elle prend finalement la tête de l’IGPN, un poste extrêmement sensible où elle pilote la fusion entre les « boeufs » de Paris et de province, autrement dit l’IGS et l’IGPN. À peine a-t-elle conduit cette épineuse réforme que, au printemps dernier, Manuel Valls, encore à l’Intérieur, envisage de la nommer à la Direction générale de la police nationale (DGPN). Ce qui aurait fait d’elle la première femme à occuper cette fonction. Mais ce sera un homme – pour ne pas changer – qui décrochera le poste. Jusqu’au prochain remaniement ?