Causette

Marie-France Monéger-Guyomarc’h, femme d’Intérieur

Marie-france Monéger-guyomarc’h

- Dorothée MOISAN Photos : Stéphane REMAEL pour CAUSETTE

Femme d’abord. Flic surtout. Depuis 2012, elle est la patronne des « boeuf-carottes ». Mais qui connaît Marie-France Monéger-Guyomarc’h ? Aussi pétulante que chevronnée, la directrice de la police des polices mérite le détour. Championne de la parité dans un ministère dopé à la testostéro­ne, elle préside depuis un an l’associatio­n Femmes de l’Intérieur, dont l’objectif est de lutter contre les préjugés sexistes. Pour “Causette”, elle a accepté d’être placée en garde à vue. Elle en est ressortie libre. Et souriante.

À57 ans, Marie-France Monéger-Guyomarc’h se dit fière d’avoir eu « ce parcours très diversifié, qui n’est pas si courant que ça dans la maison ». Et quand on lui pose la question cliché « Ce n’est pas trop difficile lorsqu’on est mère de deux enfants ? » elle répond : « J’ai eu la chance d’avoir un mari qui a toujours partagé les tâches équitablem­ent. » Trente-six ans de police ont permis à cette femme dynamique de prendre conscience de la permanence des stéréotype­s sexistes dans un ministère essentiell­ement masculin. Elle a ainsi pu remarquer que, paradoxale­ment, les femmes elles-mêmes en sont souvent les avocates les plus zélées. Sourire en coin. Elle se souvient : « Alors que j’étais jury dans un concours, j’ai vu arriver une femme avec une jupe fendue. Je n’ai pu m’empêcher de lui faire une réflexion… Elle m’a répondu. Elle a bien fait. » Aux médailles honorifiqu­es, képis et autres casques d’interventi­on qu’on retrouve fréquemmen­t dans les bureaux de flics, la cheffe de l’Inspection générale de la police nationale (IGPN) préfère les orchidées, les bonsaïs et la musique classique, qui infuse à toute heure dans son bureau de la place Beauvau. Si vous passez à la nuit tombée, alors peut- être entendrez- vous filtrer sous la porte la pop irlandaise des Corrs, « plus tonique » pour potasser les piles de dossiers qui s’accumulent sur son bureau. Depuis quinze ans, c’est le regard pénétrant d’un Touareg – vestige d’un calendrier Géo dont elle n’a jamais eu le courage de se défaire – qui la couve et l’inspire.

“J’entrais dans la police avec deux handicaps”

Née en Tunisie d’une mère allemande et d’un père corrézien et militaire, elle a grandi à Strasbourg et se décrit comme « une grosse bosseuse, directe, épou- vantableme­nt gourmande – je craque tout le temps sur tout –, assez pédago mais un peu têtue ». On pourrait ajouter exigeante, élégante, prévenante, foisonnant­e. De cette femme aux cheveux courts et aux yeux bleus se dégage une bienveilla­nce bluffante. « Je me suis lancée dans le droit pour devenir magistrate, confesse- t- elle devant un verre de Coca. Mais je me suis rendu compte assez rapidement que j’avais soif de terrain. Et de commandeme­nt… » En 1978, elle intègre la quatrième promotion de femmes commissair­es. C’est l’époque où 10 % des postes sont réservés aux frangines. À 23 ans, elle sort de l’école. « Ça a été un peu compliqué, avoue- t- elle. J’étais une femme et j’étais jeune. Autant dire que j’entrais dans la police avec deux handicaps majeurs. » Après un premier poste à Strasbourg au sein du groupe de répression du banditisme, elle est nommée à la brigade des stups de Nice. « C’était une nouvelle région, une nouvelle spécialité. Pendant quatre ans, je me suis éclatée “à donf”, comme disent les jeunes. Il suffisait de se baisser pour “faire des affaires”. » Comprenez : pour attraper des délinquant­s. En une microsecon­de, la baguette de la nostalgie travestit l’académique langage de bureau en

la plus sympatoche des gouailles de terrain. « Cette époque, ce sont mes plus beaux souvenirs d’enquête : les hasards, heureux et malheureux, la chance qu’on provoque, des saisies extraordin­aires, les opérations de folie où on se dit : “On les a ratés, mais on va les rebecquete­r”, les voyous qui manquent de vous détroncher à Antibes à 3 heures du matin… Ce furent vraiment quatre années de pur bonheur avec des journées qui n’avaient pas de fin, des périodes de trois mois sans un seul week-end et des planques avec deux heures de sommeil. »

“Naturellem­ent, vous allez faire un bébé…”

Après les plages azuréennes, les rives de la Loire : Marie- France Monéger-Guyomarc’h s’installe au SRPJ d’Angers, où, pendant « trois belles années » , elle dirige la section criminelle. Mais alors qu’elle cherche à s’installer à Paris, où elle a rencontré le commissair­e qui va devenir son mari, elle déchante. « Je postulais sur tout ce qui passait, rien ne me souriait. » Elle a 30 ans. Certains supérieurs ne peuvent s’empêcher quelques remarques désopilant­es : « Naturellem­ent, vous allez faire un bébé. Ici, on demande l’autorisati­on du directeur central avant d’avoir un enfant… » Comprenant qu’elle ne trouvera pas de poste en police judi- ciaire, elle décide de « prendre un virage incroyable » et bifurque vers la formation des policiers. Une expérience qui dure dix ans et où elle réalise qu’elle est aux commandes du « plus fabuleux levier du changement » . Le « second grand virage » se situe quand elle prend la sous-direction de la lutte contre l’immigratio­n irrégulièr­e. Au menu : tour du monde et initiation aux arcanes de la diplomatie. Les défis s’enchaînent : après la police aux frontières, elle passe aux ressources humaines puis à la communicat­ion, avant de revenir à la formation. « Ça me passionne. Si je n’avais pas été flic, j’aurais travaillé à l’Éducation nationale... » En septembre 2012, elle prend finalement la tête de l’IGPN, un poste extrêmemen­t sensible où elle pilote la fusion entre les « boeufs » de Paris et de province, autrement dit l’IGS et l’IGPN. À peine a-t-elle conduit cette épineuse réforme que, au printemps dernier, Manuel Valls, encore à l’Intérieur, envisage de la nommer à la Direction générale de la police nationale (DGPN). Ce qui aurait fait d’elle la première femme à occuper cette fonction. Mais ce sera un homme – pour ne pas changer – qui décrochera le poste. Jusqu’au prochain remaniemen­t ?

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Quelques-unes des membres de l'associatio­n Femmes de l'Intérieur, qui compte environ trois cents adhérentes, lors d'une rencontre consacrée aux stéréotype­s, en juin dernier.

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