Rocco et ses fils : la génération Q
Militant de la lutte contre le sida, le Dr Kpote intervient depuis une dizaine d’années dans les lycées et centres d’apprentissage d’île-de-france, de Versailles à Clichy en passant par Paris, comme “animateur de prévention”. Chaque semaine, il rencontre
Monsieur, j’ai vu Emmanuelle, le film de boules de votre époque. Eh ben, c’est nul. On voit rien. » Force est de constater qu’à grands coups de surenchère de chair, les formes suggérées en flouté hamiltonien des années 70 font moins gonfler les braguettes que les amas de barbaque filmés en HD ! Les temps ont bien changé. Après la « X » post babyboom et la « Y » connectée, on assiste à l’émergence d’une nouvelle génération qui partage ses selfies au lit avec la planète entière : la « Q ». À l’époque d’Emmanuelle et du carré blanc, les parents nous éjectaient des cuisses de Sylvia Kristel pour les bras de Morphée. Du coup, privés de tout, on fantasmait pour un rien, se caressant sur un fauteuil en osier ou mouillant sur Histoire d’O… Aujourd’hui, Emmanuelle serait probablement déconseillé au moins de 12 ans, et le cul sur Internet, c’est limite comme un grand prix de F1 sur Canal+, on peut choisir sa caméra et ses angles de vue. Mainte- nant, les ados rêvent d’être envoyés au lit en priant le dieu WiFi que leurs parents oublient de confisquer leurs multiples écrans portatifs et de débrancher la box familiale. Souvent, quand je les entends parler de sexualité ou de clips vidéo avec des filles en short rétréci au matage, je me dis qu’avec nos vieilles photos souillées on passerait pour des poètes de la branlette, des touche-pipi attardés. Les
MONTEBOURG PEUT DORMIR SUR SES DEUX TESTICULES : LES ADOS SONT BARDéS DE TECHNOLOGIE CHINOISE, MAIS, POUR LE CUL, ILS CONSOMMENT BLEU-BLANC-ROUGE
rares images qui envoyaient du bois, on les obtenait en volant chez le buraliste du coin ou en rembobinant mille fois la VHS fatiguée de James Bond 007 contre Dr. No, quand Ursula exhibait un bon 90 débordant de son bikini blanc. De nos jours, à 15 ans, certains sont dans le vif du sujet, à grand renfort d’éjac faciale, de gang bang et de fellation jusqu’aux boules. En faisant un petit tour sur YouPorn, l’un des premiers sites visités par les mateurs en culotte courte, en deux clics et sans aucun message d’avertissement, on est face à un tartare de chair bien crue, avec pour seule légende le nombre de vues. « Heu, mon chéri, il est l’heure de dormir maintenant, éteins ton ordi et enlève ta main de ton pyjama quand tu parles à maman. » Depuis peu, j’ai mis au point un test de fréquentation des sites à caractère pornographique en lançant aux ados : « Vous m’avez l’air fatigués, vous avez surfé chez Jacquie et Michel hier soir ? » Les adeptes prennent un malin plaisir à se faire repérer en hurlant la célèbre punchline : « Merci qui ? Merci Jacquie et Michel. » Grâce aux deux pionniers du « porno près de chez vous »,
Montebourg peut dormir sur ses deux testicules : les ados sont bardés de technologie chinoise, mais, pour le cul, ils consomment bleu-blanc-rouge. 53 % des garçons de 15 à 17 ans ont déjà surfé sur un site porno ( contre 18 % des filles)*. Quand on sait que le terme « pornographie » vient du grec pornê, qui signifie « fille publique », « femme captive », on comprend mieux l’image de la femme véhiculée par certains sites amateurs du genre. Les filles, moins avides de cet univers, mais plus promptes à répondre aux désirs de leur partenaire, se soumettent facilement aux expérimentations de leur « porn star » de copain. Je me souviens de cette jeune primo-arrivante qui m’avait demandé si c’était normal que son ami lui claque les fesses à chaque rapport. « Et tu aimes ça ? – Heu… non. – Alors, pourquoi tu ne lui dis pas ? – J’ose pas. Il m’a dit que c’est comme ça qu’on fait l’amour, ici… – Dis à ton copain qu’il diminue sa dose de porno et apprends à lui dire non. » Dans une classe plutôt diserte sur le sujet, et où on parlait de fellation profonde, un garçon racontait qu’il s’enivrait du petit hoquet accompagnant l’acte. Hilare, il nous a même mimé la fille exprimant son envie de vomir. La pornographie nourrit le sexisme, car ce sont toujours les mecs qui sont à la baguette : tirer les cheveux pour s’exciter, claquer les fesses pour affirmer sa domination, tapoter son gland sur la vulve pour montrer qui décide… Le porno a même influencé leurs critères esthétiques, comme la chasse aux poils pubiens, ou, pire, ethniques, puisque les sites classent les filles par origine. Les titres sont aussi évocateurs de cette relation unilatérale : la salope, la pute, la chaudasse s’y fait toujours « défoncer », « en redemande ». Les femmes subissent l’acte, ne sont pas maîtresses de leur sexualité. Des angoisses d’ados liées à l’abus de pornographie émergent : questionnement sur la couleur et la quantité du sperme, la longueur des érections, crainte de pratiques SM et libertines intégrées comme normes dès l’entrée dans la sexualité, attitudes nymphomaniaques, peur des filles de ne pas correspondre aux canons du X, avec des physiques de poupées gonflables et des cris d’orgasme frôlant les 140 décibels d’un avion au décollage… Alors, on censure pour sauver notre société de tous ces obsédés nourris au hard ? Face à l’ampleur du phénomène et la possibilité infinie de se connecter, je doute que cela soit possible. En revanche, exigeons de l’industrie pornographique qu’elle rétablisse l’équilibre dans le traitement du désir des hommes et des femmes, qu’elle soit plus respectueuse des individus, qu’elle établisse une hiérarchie des pratiques pour laisser le temps de l’apprentissage. Accompagnons les jeunes dans la découverte de leur corps, de la relation à l’autre. Et, pour soigner les plus addicts aux sites de boules, osons briser les tabous en réhabilitant l’érotisme, voire ces films d’amateurs où l’amour ne se fait pas sur commande, mais où la complicité de ceux qui s’y exhibent ne dénature pas la force des sentiments et le plaisir partagé. Comme en toxicomanie, proposons la substitution !