Causette

Assistante­s sociales scolaires : chaude rentrée dans le 9.3.

Assistante­s sociales scolaires

- Julia PASCUAL – Photo : Christophe CAUDROY pour CAUSETTE

Ouvertures de collèges avec une seule création de poste, interventi­ons dans des écoles primaires et maternelle­s difficiles en plus de leurs missions dans leur établissem­ent d’affectatio­n… La rentrée 2014 s’annonce rude pour les assistante­s sociales scolaires de Seine-Saint-Denis. Causette les a rencontrée­s juste avant les vacances : elles sortaient d’un mouvement de grève et promettaie­nt de rester mobilisées.

Devant la cantine, les chaises ont été empilées ; quelques surveillan­ts patientent dans un hall, désoeuvrés ; les élèves ont déserté ce gros établissem­ent scolaire de Seine-Saint-Denis. Il flotte un air de vacances. Dans son bureau au lino fraîchemen­t décapé, Marie 1, assistante sociale scolaire (ASS), vient de boucler ses statistiqu­es annuelles : dossiers d’aides financière­s pour la cantine, demandes de bourses, de titres de séjour, décrochage­s, absentéism­e, conflits familiaux, fugues, violences sexuelles… « J’ai dû voir un tiers des gamins qu’il aurait fallu voir, jauge-t-elle. Cette année, le traitement des situations individuel­les ne m’a pas permis de dégager du temps pour m’inscrire dans un projet

collectif de prévention. » Alors, c’est une évidence, « on ne pourra pas faire plus » . C’est justement ce qui fâche les cent cinquante profession­nelles du départemen­t (on y compte moins de dix hommes), dont la majorité a fait grève les 12 et 27 juin derniers. À la rentrée, six nouveaux établissem­ents d’enseigneme­nt secondaire ouvrent dans le 93 2. Et pour y assurer le service social… un seul poste a été créé. Plusieurs ASS devront ainsi intervenir sur des collèges supplément­aires. En outre, la réforme de l’éducation prioritair­e, lancée par Vincent Peillon, prévoit des responsabi­lités nouvelles pour celles rattachées aux six collèges « REP plus » du départemen­t (réseau d’éducation prioritair­e, ce sigle désigne les ex-ZEP les plus difficiles). Ces dernières sont incitées à assurer le service social dans les cinquante-huit écoles primaires et maternelle­s de leur réseau (une expériment­ation qui devrait devenir obligatoir­e à la rentrée 2015). Soit jusqu’à dix établissem­ents par ASS ! « Le sentiment qui prédomine, c’est celui d’une mise en oeuvre de l’éducation prioritair­e sans moyens, regrette Karine Prudhommea­ux, déléguée CGT Educ’Action. On prend à Paul pour donner à Pierre. »

“Une négation du travail que l’on fait”

La nouvelle est d’autant plus mal passée que, en raison des particular­ités socio-économique­s du départemen­t (12,7 % de chômage, 21,6 % de population étrangère), le service social y était plutôt renforcé : quand, en France, une ASS intervient sur une moyenne de trois ou quatre établissem­ents, en Seine-Saint-Denis, les deux tiers sont à temps plein sur un seul site (le 93 compte 184 collèges et lycées). « Les collègues se sont battues pour ça il y a des années, rappelle Sarah 1. Ce qui est en train de se passer est irrespectu­eux envers les familles, les enfants et notre profession. C’est une négation du travail que l’on fait. » Sarah est déjà sur deux établissem­ents et mesure très bien ce que cela implique : « On est repéré moins rapidement par les professeur­s et les élèves, on n’est pas dans la continuité. Je dois parfois choisir entre participer au pilotage d’un projet dans un établissem­ent, par exemple sur la lutte contre l’absentéism­e, ou aller préparer un conseil de discipline avec une famille dans l’autre. » Sa collègue Raphaëlle 1, à temps plein dans un collège, corrobore : « Si vous n’êtes pas là tous les jours, vous êtes largué. Dans les bahuts de Seine-Saint-Denis, il se passe mille choses à l’heure. L’autre jour, une gamine s’est scarifié le bras, elle a débarqué dans mon bureau. Qui aurait-elle vu si je n’avais pas été là ? L’école est un sas de décompress­ion. Les élèves viennent spontanéme­nt me voir, les équipes me signalent des situations, et je suis aussi la personne qui rencontre le plus de familles. Nous faisons partie de l’équipe éducative, j’y tiens beaucoup. » Elle regrette : « C’est la première année que je ne parviens pas à voir des gamins qu’on m’a signalés. » Phobie scolaire, harcèlemen­t, dépression, délinquanc­e, consommati­on d’alcool ou de stupéfiant­s, violences familiales, divorces difficiles, problèmes d’orientatio­n… « Tout cela prend du temps et demande parfois de faire des liaisons avec de multiples partenaire­s : médecins, psychologu­es, éducateurs, juges, policiers… De faire un retour au CPE [conseiller principal d’éducation, ndlr], au professeur principal. C’est une prise en charge très globale. On ne peut pas faire les choses à moitié. »

“Le sentiment qui prédomine, c’est celui d’une mise en oeuvre de l’éducation prioritair­e sans moyens. On prend à Paul pour donner à Pierre”

“La jeune venait régulièrem­ent me voir”

Pour chaque élève, Marie dit aussi faire du « tricot » : du soutien ponctuel face au stress d’un examen au suivi rapproché sur plusieurs années. « Un jour, une jeune fille est venue s’écrouler dans mon bureau, elle se faisait battre par sa mère. L’infirmière a constaté des coups. J’ai pris contact avec la mère pour comprendre ce qu’il s’était passé. Elle expliquait qu’elle avait de bonnes raisons. J’ai fait un signalemen­t, une éducatrice de l’ASE [aide sociale à l’enfance, ndlr] a suivi l’élève. Après ça, la jeune venait régulièrem­ent me voir, et je faisais le lien avec l’éducatrice. Ça a débouché sur un contrat jeune majeur, l’élève a pu intégrer un foyer de jeunes travailleu­rs, avec un soutien financier de l’ASE et un suivi psy. Elle a eu son bac cette année. Tout ça, ça a pris un an et demi. » C’est donc avec beaucoup d’inquiétude que Marie, Sarah, Raphaëlle et leurs collègues envisagent la rentrée scolaire. Une assemblée générale est organisée par l’intersyndi­cale CGT Educ’Action/ FSU le lundi 8 septembre, « pour voir comment poursuivre la mobilisati­on », explique Sarah. Elle prévient : « Si on me demande d’être sur un troisième établissem­ent à la rentrée, je refuserai. » De son côté, la direction académique de Seine-Saint-Denis a fait voeu de silence face à nos demandes d’interview.

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C'est de l'académie de Créteil, qui regroupe les départemen­ts de Seine-Saint-Denis, de Seine-et-Marne et du Val-de-Marne, que dépend la mise en place de la réforme.

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