Assistantes sociales scolaires : chaude rentrée dans le 9.3.
Assistantes sociales scolaires
Ouvertures de collèges avec une seule création de poste, interventions dans des écoles primaires et maternelles difficiles en plus de leurs missions dans leur établissement d’affectation… La rentrée 2014 s’annonce rude pour les assistantes sociales scolaires de Seine-Saint-Denis. Causette les a rencontrées juste avant les vacances : elles sortaient d’un mouvement de grève et promettaient de rester mobilisées.
Devant la cantine, les chaises ont été empilées ; quelques surveillants patientent dans un hall, désoeuvrés ; les élèves ont déserté ce gros établissement scolaire de Seine-Saint-Denis. Il flotte un air de vacances. Dans son bureau au lino fraîchement décapé, Marie 1, assistante sociale scolaire (ASS), vient de boucler ses statistiques annuelles : dossiers d’aides financières pour la cantine, demandes de bourses, de titres de séjour, décrochages, absentéisme, conflits familiaux, fugues, violences sexuelles… « J’ai dû voir un tiers des gamins qu’il aurait fallu voir, jauge-t-elle. Cette année, le traitement des situations individuelles ne m’a pas permis de dégager du temps pour m’inscrire dans un projet
collectif de prévention. » Alors, c’est une évidence, « on ne pourra pas faire plus » . C’est justement ce qui fâche les cent cinquante professionnelles du département (on y compte moins de dix hommes), dont la majorité a fait grève les 12 et 27 juin derniers. À la rentrée, six nouveaux établissements d’enseignement secondaire ouvrent dans le 93 2. Et pour y assurer le service social… un seul poste a été créé. Plusieurs ASS devront ainsi intervenir sur des collèges supplémentaires. En outre, la réforme de l’éducation prioritaire, lancée par Vincent Peillon, prévoit des responsabilités nouvelles pour celles rattachées aux six collèges « REP plus » du département (réseau d’éducation prioritaire, ce sigle désigne les ex-ZEP les plus difficiles). Ces dernières sont incitées à assurer le service social dans les cinquante-huit écoles primaires et maternelles de leur réseau (une expérimentation qui devrait devenir obligatoire à la rentrée 2015). Soit jusqu’à dix établissements par ASS ! « Le sentiment qui prédomine, c’est celui d’une mise en oeuvre de l’éducation prioritaire sans moyens, regrette Karine Prudhommeaux, déléguée CGT Educ’Action. On prend à Paul pour donner à Pierre. »
“Une négation du travail que l’on fait”
La nouvelle est d’autant plus mal passée que, en raison des particularités socio-économiques du département (12,7 % de chômage, 21,6 % de population étrangère), le service social y était plutôt renforcé : quand, en France, une ASS intervient sur une moyenne de trois ou quatre établissements, en Seine-Saint-Denis, les deux tiers sont à temps plein sur un seul site (le 93 compte 184 collèges et lycées). « Les collègues se sont battues pour ça il y a des années, rappelle Sarah 1. Ce qui est en train de se passer est irrespectueux envers les familles, les enfants et notre profession. C’est une négation du travail que l’on fait. » Sarah est déjà sur deux établissements et mesure très bien ce que cela implique : « On est repéré moins rapidement par les professeurs et les élèves, on n’est pas dans la continuité. Je dois parfois choisir entre participer au pilotage d’un projet dans un établissement, par exemple sur la lutte contre l’absentéisme, ou aller préparer un conseil de discipline avec une famille dans l’autre. » Sa collègue Raphaëlle 1, à temps plein dans un collège, corrobore : « Si vous n’êtes pas là tous les jours, vous êtes largué. Dans les bahuts de Seine-Saint-Denis, il se passe mille choses à l’heure. L’autre jour, une gamine s’est scarifié le bras, elle a débarqué dans mon bureau. Qui aurait-elle vu si je n’avais pas été là ? L’école est un sas de décompression. Les élèves viennent spontanément me voir, les équipes me signalent des situations, et je suis aussi la personne qui rencontre le plus de familles. Nous faisons partie de l’équipe éducative, j’y tiens beaucoup. » Elle regrette : « C’est la première année que je ne parviens pas à voir des gamins qu’on m’a signalés. » Phobie scolaire, harcèlement, dépression, délinquance, consommation d’alcool ou de stupéfiants, violences familiales, divorces difficiles, problèmes d’orientation… « Tout cela prend du temps et demande parfois de faire des liaisons avec de multiples partenaires : médecins, psychologues, éducateurs, juges, policiers… De faire un retour au CPE [conseiller principal d’éducation, ndlr], au professeur principal. C’est une prise en charge très globale. On ne peut pas faire les choses à moitié. »
“Le sentiment qui prédomine, c’est celui d’une mise en oeuvre de l’éducation prioritaire sans moyens. On prend à Paul pour donner à Pierre”
“La jeune venait régulièrement me voir”
Pour chaque élève, Marie dit aussi faire du « tricot » : du soutien ponctuel face au stress d’un examen au suivi rapproché sur plusieurs années. « Un jour, une jeune fille est venue s’écrouler dans mon bureau, elle se faisait battre par sa mère. L’infirmière a constaté des coups. J’ai pris contact avec la mère pour comprendre ce qu’il s’était passé. Elle expliquait qu’elle avait de bonnes raisons. J’ai fait un signalement, une éducatrice de l’ASE [aide sociale à l’enfance, ndlr] a suivi l’élève. Après ça, la jeune venait régulièrement me voir, et je faisais le lien avec l’éducatrice. Ça a débouché sur un contrat jeune majeur, l’élève a pu intégrer un foyer de jeunes travailleurs, avec un soutien financier de l’ASE et un suivi psy. Elle a eu son bac cette année. Tout ça, ça a pris un an et demi. » C’est donc avec beaucoup d’inquiétude que Marie, Sarah, Raphaëlle et leurs collègues envisagent la rentrée scolaire. Une assemblée générale est organisée par l’intersyndicale CGT Educ’Action/ FSU le lundi 8 septembre, « pour voir comment poursuivre la mobilisation », explique Sarah. Elle prévient : « Si on me demande d’être sur un troisième établissement à la rentrée, je refuserai. » De son côté, la direction académique de Seine-Saint-Denis a fait voeu de silence face à nos demandes d’interview.