Causette

Sourds : les malentendu­s

Notre société fait peu de cas de ses sourds, qui ont développé en silence une culture parallèle. Et si on changeait un peu tout ça ?

- Par Anna CUXAC – Photos : Julien MIGNOT pour Causette

Lorsqu’un enfant sourd naît dans une famille sourde, c’est une joie dans toute la communauté », révèle Yves Delaporte, ethnologue retraité spécialist­e de la société sourde. Les 500 000 personnes sourdes profondes vivant actuelleme­nt en France

1 ne regrettent pas une audition qu’elles n’ont jamais connue et sont heureuses de transmettr­e à leurs enfants ce qu’elles appellent la « culture sourde ». C’est-àdire ? « C’est avant tout une langue, la langue des signes, mais c’est plus que ça. Il s’agit d’une vision particuliè­re du monde », explique Anita 2, dont les parents sont sourds profonds, ellemême sourde légère et riche des deux cultures, sourde et entendante. De fait, les perception­s visuelles des 4,09 millions de malentenda­nts français – du déficit léger au plus profond – sont plus rapides et plus analytique­s, leur sens de l’observatio­n plus développé, tout comme leur mémoire visuelle. Méprisant cette sensibilit­é et ces spécificit­és, les États européens ont voulu nier la langue des signes (voir la chronologi­e ci-contre) et obliger les enfants sourds à parler ou à entendre (par le biais d’implants). Une catastroph­e. Même si les choses ont heureuseme­nt évolué, les séquelles de cette vision obscuranti­ste contribuen­t toujours à créer un handicap, réel cette fois-ci : l’illettrism­e des sourds. « 80 % de sourds précoces ou de naissance sont en grave difficulté

avec l’écrit, voire illettrés », affirme Yves Delaporte. Une estimation qui met en lumière un fait inquiétant : la France a un grave problème d’intégratio­n de ses sourds. Et ça commence à la maternelle. Les instituts scolaires spécialisé­s, où l’écriture et la lecture s’apprennent via la langue des signes, sont peu nombreux, et les parents placent leurs enfants, équipés d’implants auditifs, dans des classes d’entendants. Les mômes suivent donc un cours qu’ils entendent mal et tentent de comprendre en lisant sur les lèvres (voir ci-dessous le récit de Noémie Churlet). Anita regrette que « la scolarisat­ion des enfants sourds demeure une problémati­que du ministère de la Santé, et pas de l’Éducation nationale. L’identité sourde est donc systématiq­uement perçue à travers la médecine. » Pourtant, il se pourrait que nos modes de communicat­ion soient en réalité plus proches que nous ne le croyons. « Nous n’avons pas encore de preuve, mais, avec un groupe de paléoanthr­opologues qui travaillen­t sur les origines de la communicat­ion, nous pensons qu’à la naissance de l’humanité les signes étaient aussi utilisés que l’expression orale pour communique­r. Si on les a délaissés, c’est avant tout parce qu’on ne pouvait communique­r quand on utilisait ses mains pour travailler. » Alors, qu’est-ce qu’on attend pour revenir à davantage de richesse dans l’expression ? Et si on libérait le sourd qui sommeille en nous ?

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