Vertiges de l’ado
Et si ce qui faisait vraiment flipper les ados c’était l’idée d’avoir à choisir, et qu’ils étaient bien plus obéissants qu’on ne le pense ?
Prenez, d’une part, des vieux cons qui pensent que les jeunes d’aujourd’hui sont complètement perdus et font n’importe quoi, voire plus rien du tout ; d’autre part, des petits cons à qui le « monde pourri » des vieux cons colle le vertige et ôte toute velléité d’y plonger, voire d’en inventer un autre. Vous avez de grandes chances de vous retrouver au coeur d’une crise d’adolescence carabinée. Une aubaine pour les professionnels de tout poil – psys 1, politiciens, chroniqueurs, philosophes –, qui décrivent comment les transformations de l’individu moderne – privé d’autorité, de repères internes et en prise avec des désirs qui ne sont plus que des envies dictées par la société de surconsommation – précipitent les zados dans un vide intersidéral dont ils auront grand mal à sortir vivants. Et qu’est-ce qui va nous arriver si toute une génération part ainsi à vau-l’eau ?
“Sois heureux” à 14 ans
En oubliant que dans sa République, il y a quelque vingt-cinq siècles (!), Platon s’en inquiétait déjà : « Lorsque les pères s’habituent à laisser faire les enfants, lorsque les fils ne tiennent plus compte de leurs paroles, […] lorsque finalement les jeunes méprisent les lois parce qu’ils ne reconnaissent plus, audessus d’eux, l’autorité de personne, alors c’est là, en toute jeunesse et en toute beauté, le début de la tyrannie. » Aux prédictions alarmistes, voire apo-
S’affirmer comme quelqu’un face à des adultes qui ne savent pas très bien eux-mêmes qui ils sont
calyptiques, des oiseaux de mauvais augure, certains autres spécialistes
2 opposent quelques pistes de réflexion plus tranquilles et, de fait, beaucoup moins vendeuses. En rappelant que ce qui est nouveau et qui donne le vertige, c’est la liberté individuelle : apprendre à choisir, et même devoir le faire. Comprendre qui on est, ressentir ses désirs et les exprimer, s’affirmer comme quelqu’un face à des adultes qui ne savent pas très bien eux-mêmes qui ils sont, et qui n’exigent même plus « réussis tes études », « fais-moi honneur » ou « suis mes traces » , mais simplement… « sois heureux » . « Sois heureux » , à 14 ans ! Et puis quoi, encore ? Voilà le problème : la liberté complique. C’est ce qui pousse certains adolescents à opter pour des solutions extrêmes en se mettant sous une autorité, politique ou religieuse, qui décide à leur place quoi faire de leur vie (et même parfois de leur mort) : obéir est reposant, quand on ne sait pas choisir... Partir en quête de soi est bien plus complexe que suivre une voie toute tracée. Ça fait flipper les ados, et surtout leurs parents, souvent tellement absorbés par leur propre quête qu’ils en oublient que, à 14 ans, quand on ne sait pas du tout qui on est ni qui on voudrait être, « choisis ce qui te plaît » est un abîme, « prends-toi en main » , une abstraction, et « sois heureux », un gouffre. Vertigineux.