Causette

“Un enfant doit pouvoir jouer, lire... même s’il est sourd !”

Comédienne, Noémie Churlet, 38 ans, dirige “Art’Pi”, un magazine culturel gratuit sur la foisonnant­e création artistique du monde sourd. Pour “Causette”, elle a livré par e-mail son ressenti sur la perception des sourds en France.

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Causette : Comment s’est passée votre enfance ?

Noémie Churlet : Je suis devenue sourde à l’âge de 2 ans. Ça a été un choc pour mes parents. Ma mère était anéantie et a passé mon enfance à chercher à me « réparer ». Aujourd’hui, je la remercie pour ses efforts, mais ce chemin ne m’a pas aidée à m’épanouir. En suivant les conseils de professeur­s et de médecins, mes parents ont renié la langue des signes. Pour eux, la solution pour que je trouve des amis, du travail, c’était que je parle. Mais faire parler un enfant sourd, c’est très fastidieux, il faut le reprendre sans arrêt. L’informatio­n est mise de côté, seule compte la façon de dire. On passe son enfance à être corrigé, les parents ne sont plus des parents mais des éducateurs. À 17 ans, j’ai saisi l’occasion de partir pour une autre ville et d’y vivre seule. Là-bas, je me suis reconstrui­te dans le respect de mon identité.

Quelle a été votre scolarité ?

N. C. : Au début, j’étais dans une école pour sourds, mais ma mère trouvait que le niveau était bas, et je ne parlais plus. Elle m’a placée en intégratio­n totale, dans une école d’entendants… J’ai peiné ! Lire sur les lèvres de la maîtresse, qui n’arrêtait pas de bouger, de marcher dans la classe, c’était une folie. J’avais de bonnes notes, mais j’ai dû prendre des cours de soutien, travailler deux fois plus. On me félicitait, mais ce n’est pas normal. Un enfant doit aussi pouvoir jouer, lire, prendre du plaisir, faire des activités. Même s’il est sourd !

Est-ce compliqué d’être sourd aujourd’hui en France ? N. C. : Longtemps, on a pensé que les sourds n’étaient pas intelligen­ts et qu’il était inutile de leur enseigner trop de choses ! Ils n’avaient droit qu’à des métiers manuels – cuisiniers, couturière­s… Heureuseme­nt, ça a évolué, mais nous rencontron­s beaucoup d’obstacles sur le marché de l’emploi. La France est en retard, par rapport à l’Angleterre par exemple. Aujourd’hui, dans le travail comme dans la vie privée, si on tente d’accéder aux univers des enten- dants uniquement avec la langue parlée, c’est très difficile. On est souvent en décalage, car c’est aux sourds de s’adapter, sans conditions. Mais si on s’accepte, on arrive à démontrer notre potentiel aux entendants. Parmi eux, il y a ceux qui cherchent à nous comprendre : 63 % des lecteurs inscrits sur le site d’Art’Pi sont des entendants ! Mais il y a ceux qui adoptent un comporteme­nt « scout » : ils cherchent à nous assister et nous cantonnent dans une position passive. Même avec les meilleures intentions du monde, ceux-là n’aident vraiment pas. Quelles sont les priorités pour intégrer au mieux les sourds ? N. C. : Donner aux enfants sourds une éducation bilingue (langue des signes et orale) et aider financière­ment les parents pour qu’ils apprennent la langue des signes. Les enfants doivent être stimulés pour devenir des citoyens à part entière, non des assistés qu’on aide et range dans un coin avec des travaux manuels !

Art’Pi est gratuit. Retrouvez-le sur le site art-pi.fr, dans les bibliothèq­ues et les centres culturels pour personnes sourdes.

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