Causette

Yvette Roudy : « Monsieur le Président, restaurez le ministère ! »

Yvette Roudy

- Propos recueillis par Audrey Lebel

En 1981, François Mitterrand confie à Yvette Roudy le premier ministère des Droits de la femme. Lors du dernier remaniemen­t, il a été intégré à celui des Affaires sociales et de la Santé. À 85 ans, cette figure historique du féminisme ne mâche pas ses mots : ce retour en arrière est une véritable catastroph­e.

Causette : En quoi êtes-vous consternée par la suppressio­n du ministère des Droits des femmes ?

Yvette Roudy : C’est une régression, les vieux démons sont de retour. Ça a toujours été ainsi, mais je ne l’attendais pas si vite. On renvoie systématiq­uement les femmes à la Santé et aux Affaires sociales, comme s’il s’agissait d’une maladie. C’est une attitude qui vient de l’Europe, influencée par la démocratie chrétienne et le Vatican. Elle postule que les femmes sont des êtres fragiles qu’il faut protéger et auxquels il ne faut surtout pas confier le pouvoir. Il faudrait un ministère des Droits des femmes pendant des siècles. Parce que, pour l’instant, c’est deux pas en avant et un pas en arrière.

“On mesure le degré de démocratie d’un pays à la façon dont les femmes sont traitées”

Pourtant, la loi pour l’Égalité réelle entre les femmes et les hommes, adoptée le 23 juillet dernier (voir interview de Najat Vallaud-Belkacem, Causette #48), est une avancée.

Y. R : C’est la première loi-cadre et, en ce sens, elle est intéressan­te. Mais il reste énormément à faire. Pour moi, les femmes sont trop gentilles. Elles auraient dû aller manifester après la disparitio­n du ministère. Il faudrait que les associatio­ns féminines et féministes soient reconnues comme les syndicats, et que le gouverneme­nt les consulte dès qu’il prend des mesures les concernant. J’ai peur que beaucoup de femmes ne pensent qu’il faut maintenant laisser faire les choses. Ce n’est pas vrai ! Le machisme est profondéme­nt ancré dans notre société. Il est en place depuis plus de deux mille ans, ce ne sont pas cinquante ans de luttes qui vont régler la question. Et puis il y a de gros dangers avec la montée de l’intégrisme religieux, dont les femmes sont la cible principale. Il y a une indulgence folle de la part de la gauche, qui craint de voir rappeler son passé colonialis­te. Je leur dis : ça suffit comme ça, prenez vos responsabi­lités ! Toutes les religions sans exception sont misogynes. Le dernier point sur lequel je reste vigilante est le vote de la loi sur la prostituti­on. On verra si l’Assemblée nationale aura le dernier mot et parviendra à réintrodui­re la pénalisati­on du client. [Après son rejet par le Sénat le 8 juillet dernier, ndlr.]

Faites-vous encore confiance à François Hollande ?

Y. R : Désormais, je me méfie, comme j’aurais dû me méfier lorsque Olympe de Gouges n’est pas entrée au Panthéon.

Est-il encore de gauche selon vous ? La création d’un ministère permanent des Droits des femmes était l’un de ses engagement­s…

Y. R : On mesure le degré de démocratie d’un pays à la façon dont les femmes sont traitées. Que François Hollande crée ce ministère était un signe évident de son attachemen­t à la démocratie. Je ne veux pas croire que le fait de le supprimer puisse être un marqueur d’une orientatio­n à droite. La social-démocratie doit s’atteler aux réductions des inégalités dont les femmes sont toujours victimes. Il faut écrire au président pour lui demander de restaurer le ministère. Il ne doit pas laisser tel quel ce secrétaria­t d’État qui ne sert à rien.

Êtes-vous optimiste pour les génération­s à venir ?

Y. R : À terme, oui. Mais il y a du boulot, il faut que les femmes se remuent. Moi, j’ai fait ma part.

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