Causette

Chris Esquerre : nécessaiRi­ssime !

- Liliane Roudière Photos : Pierre Hybre/Agence Myop pour Causette

Ses fans en sont dingues et il fait l’unanimité dans les médias. Chris Esquerre est de retour sur le devant de la scène et on va pouvoir se gaver de son humour déjanté. Ce jeune homme de 39 ans, au visage poupin, irrésistib­le, a une potion magique : un mélange d’humour vache, d’absurde et de poésie. Sans oublier la tendresse. Écoutez-le une seule fois et vous serez accro. Et pourtant il n’est pas tombé dans la marmite étant enfant.

« Didier Deschamps, vous avez déclaré dans la presse “aimer terminer un repas avec une boule de glace à la pistache” ? – Heu ! oui. – Regrettez-vous ces propos ? » Voilà le genre de questions absurdes – posées avec sérieux – auxquelles doivent s’attendre désormais les invités de la nouvelle émission La Bande originale, sur France Inter. À midi, Chris Esquerre prend le relais de Nagui et déconstrui­t à coeur joie le rapport feutré et réputé sans risque des sempiterne­lles interviews. Ce style, cette signature, on l’a découvert en 2007 sur Canal+ à l’occasion de La Revue de presse des journaux que personne ne lit, une pastille présentée dans L’Édition spéciale. Assis – comme un vrai journalist­e – derrière un bureau, Chris Esquerre (de son vrai nom) présentait – sans rigoler – ces fameux magazines : Questions boulange, Sanglier passion, Consensus cardio… Il se souvient avec gourmandis­e : « C’était génial, mais c’était un très gros boulot : quand t’as lu un numéro entier de Jet d’encre magazine et que t’as rien trouvé comme blague, eh bien, il faut en lire un second ! Parce que tu veux parler de ce mag ! Ces titres, c’est de la poésie ! » En cet après-midi ensoleillé, il paraît heureux de faire une pause souvenir. Aujourd’hui, entre sa quotidienn­e sur Inter et son hebdomadai­re sur Canal+, c’est sûr qu’il a peu de temps pour ça. Dans sa nouvelle production, Importanti­ssime, les coulisses de l’émission, il campe un épouvantab­le présentate­ur de télé totalement fat, qui coupe la parole de ses reporters ou les insulte. On a juste envie de lui exploser la gueule et pourtant – j’avoue – on se marre. On rit souvent jaune avec Chris. C’est ce qui est bon ! Parce que c’est mal ! D’où vient la nuance jaune de l’humour d’Esquerre ? Mystère. Chris est un homme sans références. Il n’en veut pas. Il n’en donne pas. « L’humour, plus que tout autre travail créatif, se nourrit du contact avec les gens, pas avec les oeuvres. » Ce garçon est étrange, en ce sens qu’il aime à donner de lui une image banale. Il se sent bien de ce côté-là, et ce, depuis l’enfance.

De la disparitio­n des oeufs durs

Chris est né dans la banlieue de Rouen (Seine-Maritime), entre la Seine et une forêt peuplée de sangliers. Papa et maman profs de gauche, sa soeur et lui… RAS « Une enfance heureuse à la campagne. Pieds nus dans l’herbe, c’est un truc chouette qu’on peut souhaiter aux gens... » Puis un divorce, « ce qui rend l’enfance un peu moins joyeuse » , mais rien de particulie­r. « Je faisais marrer un peu, mais pas de manière spectacula­ire. » Il n’a jamais fait du rock ou du théâtre, n’a pas milité, pas pris de cuite. Premier baiser en seconde. Ce qu’il aimait par-dessus tout : « c’était glander chez moi, dans ma chambre. J’aimais sentir le temps qui passe, j’étais un oisif. J’aimais l’ennui, et je le cultive encore aujourd’hui » . Il déteste l’école. « Pour moi, l’école, c’était du travail et je n’aimais pas du tout travailler. » Bon élève pourtant. Il ne lit pas. « Il y avait chez moi de grands murs tapissés de livres et je crois que j’ai fait une réaction : je me suis dit que je n’arriverais jamais à autant lire que mes parents, je ne voulais pas me battre sur ce terrain-là ». S’ajoute à cela un concept assez « esquerrien » : « Et puis j’avais l’impression que, pendant que je lisais, ma vie défilait, que je n’en profitais pas, que j’avais perdu ce temps-là. » Pendant son « glandage » dans sa chambre, il ne rêve de rien, semble-t-il, et surtout pas de faire l’artiste ou d’être célèbre :

« Mes rêves étaient nuls ! Au collège, à la question “quel métier aimeriez-vous faire plus tard”, j’écrivais : polytechni­cien. Je croyais que c’était un métier ! Mais je voulais une belle carrière et j’imaginais une sorte de grand chercheur derrière ce terme. Quelqu’un qui inventait plein de choses. » En guise de belle carrière, il fait une fac d’éco en Grande-Bretagne puis une école supérieure de commerce à Rouen. Il entre chez Andersen Consulting et enfile la veste de cadre sup (émotion !). Trop serrée aux entournure­s. « J’avais les larmes aux yeux quand j’allais travailler. » Il y reste quelques mois et repère dans la presse une agence de consulting qui utilise l’humour pour résoudre les conflits. « J’ai appelé le bonhomme, il m’a dit oui. » Le bonhomme en question, directeur de Humour Consulting Group, Serge Grudzinski, rectifie : « Moi, je ne voulais pas travailler avec lui, mais il m’a convaincu de le prendre comme stagiaire ! » Tous deux s’accordent aujourd’hui pour dire que les trois années qu’ils ont passées ensemble ont été formidable­s. Mais Chris démissionn­e pour se lancer dans la radio. Pas de raison précise. Il aime bien. À la maison, on écoutait France Inter. « Je me suis acheté du matériel enregistre­ur [que c’est joli ce vocabulair­e ! ndlr] et j’ai fait un reportage de cinq minutes sur la disparitio­n des oeufs durs dans les bars. C’est là que j’ai rencontré Angèle. » Petite pause : Angèle est la dame qui tient le Balto, bar-tabac PMU près de la Bastille. Et c’est là que nous sommes en ce moment. Angèle était prévenue de notre arrivée. Elle nous a accueillie chaleureus­ement : « Vous venez pour Chris ? Je vous ai réservé la table du fond. Ça ira ? » C’est parfait. De toute façon, il n’y a que trois tables, dont une occupée par la gamelle pleine de croquettes pour le gros chat qui sommeille. Angèle veille sur ses clients, ils ronronnent ; je lui parle des oeufs durs, elle répond fièrement que oui, c’est ainsi qu’elle a connu Chris et qu’il est resté fidèle. Fin de la pause. Le reportage « oeufs durs » est envoyé à différente­s radios. France Bleu lui propose une quotidienn­e avec des faux reportages : « J’allais dans le métro à 7 heures du matin avec le micro France Bleu. Comme j’avais l’air d’un journalist­e, les gens me répondaien­t. Je disais : “MAM a décidé de rendre la moustache obligatoir­e. Quelle est votre réaction ?” Certains approuvaie­nt : “Ah, ben oui ! c’est pratique pour protéger des intempérie­s” ou “C’est une longue tradition depuis Napoléon.” J’aimais bien aussi la “navette-éléphant”. J’expliquais que la mairie de Paris avait acquis deux éléphants et qu’on pourrait voyager ainsi gratuiteme­nt de la porte de Vincennes à la porte Maillot. Les gens râlaient : “Ah oui ! c’est encore une coquetteri­e de la mairie”, ou bien : “Ah oui ! c’est écolo, c’est un autre rythme, c’est sympa.” » Puis Jean-François Bizot, à qui il a envoyé un projet, l’engage sur Radio Nova. Un portrait par semaine. « Là, j’ai dû apprendre à travailler ma plume. » Comme la plume ne nourrit pas son humoriste, il fait des petits boulots. Pour des boîtes d’événementi­el, il traverse la France en camionnett­e. « J’adore rouler, écouter de la musique et perdre du temps. » Après Radio Nova, ce sera M6 (il a encore envoyé une cassette). Dans Le Morning Café, il parodie des émissions de télé (déjà). Pendant ce temps, Canal+ le contacte. « J’étais tout content, c’était la première fois qu’on m’appelait ! » En septembre 2007, il intègre l’émission de la mi-journée L’Édition spéciale. Et c’est la fameuse revue de presse iconoclast­e. Bonjour Sanglier passion ! Comme toujours, il bosse, bosse, bosse. Pour quelqu’un qui n’aimait pas travailler, il est servi. Il fait tout, tout seul. Enregistre­ment, montage, écriture... Pour un sketch de son émission Télé Oléron (également diffusée par Canal+), il va négocier en personne pendant six mois avec l’armée française pour obtenir un char Leclerc. Fier comme un gosse quand il se remémore cet exploit. Avec Canal+, Chris Esquerre accède à la notoriété. « Que mon travail soit reconnu, ça oui, ça me touche. Je sais que c’est précieux, mais être connu, non. Plus qu’une carrière, je veux mener à bien un parcours. » Ce qui passe par une nouvelle étape : celle de la scène. Il garde le contrôle de tout, ou presque. Pas de producteur. « J’en ai rencontré, mais ils m’ont fait peur. On me dit : “Mais, enfin, si tu veux exploser, faire boule de neige, tu dois jouer cinq soirs par semaine, être à la télé tous les jours, etc.” Mais je m’en fous, moi, de ta boule de neige ! Je veux pas rouler, je veux pas exploser ! Je veux faire longtemps ce que j’aime et gagner ma vie. » Et d’ajouter : « C’est difficile de durer dans ce métier. Pour ça, il faut être fier de ce que l’on fait : c’est une immense exigence. » Ainsi libre, entouré ponctuelle­ment d’une petite garde rapprochée (un pote aux finances, un affichiste, un informatic­ien…), il ne joue que deux fois par semaine, refuse les tournées trop longues, alterne les années chargées et celles plus dilettante­s. C’est pour cela qu’il a gardé le même petit studio depuis son arrivée à Paris : « Si j’avais changé pour un loyer supérieur, un moment serait venu où je n’aurais plus pu refuser du travail. » Le fric, il sait que ça ne change pas l’essentiel d’une vie. « Quand j’étais cadre sup, j’ai pu m’acheter une bagnole. N’empêche que quand j’ai eu un gros chagrin d’amour, je chialais dans cette bagnole et rien ne pouvait empêcher ce

“Je veux pas exploser ! Je veux faire longtemps ce que j’aime et gagner ma vie ”

chagrin. » Chris n’a donc pas changé ses habitudes (enfin pas encore, car ce foufou va bientôt déménager dans un… deuxpièces cuisine !). Il voit ses potes d’avant, passe souvent chez Angèle et s’habille – comment dire – toujours pareil. Même look, même coupe de cheveux depuis dix ans ! Il nous regarde d’un air innocent : « Ah ! mais non ! je suis pas normcore. »

“Je partage ce qui me fait rire, moi”

Cet être autoprocla­mé « banal » provoque des emballemen­ts qui le sont peu. Ses anciens collègues ont le souvenir d’un homme bosseur, très précis, bienveilla­nt, et tout à fait soluble dans une entreprise, mais qui se tient à part. « Il porte une attention toute particuliè­re aux technicien­s, monteurs, cadreurs, graphistes, truquistes, qu’il chouchoute et qu’il fréquente beaucoup : il trouve souvent que les animateurs télé sont ingrats à l’égard de ceux qui les mettent en image, en lumière et en valeur », précise la journalist­e Anne-Elizabeth Lemoine. Elle ajoute : « C’est un homme très élégant, galant, extrêmemen­t bien élevé, ce qui, dans ce milieu, est particuliè­rement appréciabl­e. » Parfois, Chris souhaite « se retirer un peu et aller regarder la mer » . Faire une pause dans ce monde si bruyant. Il regrette « cette course effrénée vers le néant, et une perte de sens encouragée par les réseaux sociaux » . Il tweete quand même, à sa sauce à lui. S’il a des dizaines de milliers de followers, il ne suit que quatre comptes : Conforama, Fly, Boulanger, la Foir’Fouille. Il faut visiter son faux site d’e-commerce, The Shop, où l’on peut trouver entre autres de magnifique­s ronds de serviette à l’effigie de Chris Esquerre taillés dans du chêne centenaire. Sur son site personnel, un pochoir d’Arlette Chabot vous attend. « Est-ce que vous vous faites rire, Chris Esquerre ? » La réponse est immédiate et franche : « Ah oui ! Et je ne travaille que comme ça, je ne cherche pas à savoir ce qui fait rire les autres, je partage ce qui me fait rire, moi. » Et, visiblemen­t, cela fait rire bon nombre d’entre nous. Désolée, Chris, mais je crois bien que la boule de neige de vos fans va grossir, grossir, grossir… Elle n’explosera pas, trop gourmande d’en avoir encore et encore. Et fan qui rit... Allez, ça va, je rigole.

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