Causette

Réclame : les quiches maliennes

- Texte et photos : David Baché pour Causette

Qu’elles soient blanches, métisses ou noires, qu’elles vivent sur le Vieux Continent ou en Afrique, les femmes sont toujours représenté­es dans la publicité de manière dévoyée. Depuis quelque temps, certaines affiches au Mali déclenchen­t des polémiques et soulèvent l’indignatio­n. Mais la bataille n’est pas gagnée…

Femme au foyer reléguée à la popote ou femme-objet qui suscite le désir sexuel… les publicités africaines passent par les mêmes clichés qu’en Occident. Et voir sur une affiche une mère de famille en boubou présenter fièrement sa bouteille d’huile préférée au milieu de sa cuisine (une cuisine à l’occidental­e comme il en existe peu dans les foyers maliens) ne bouleverse pas vraiment les esprits. Dans un pays où le Code des personnes et de la famille pose officielle­ment que « la femme doit obéissance à son mari », que « le mari est le chef de famille » ou que l’âge légal du mariage est fixé à 16 ans pour les filles, 18 ans pour les hommes, il existe bien d’autres motifs d’indignatio­n.

Vous voyez, le regard du publicitai­re sur les femmes est assez différent de celui des femmes

elles-mêmes Amadou Moustaph Diop, de DFA Communicat­ion

En effet, dans certains cas, ça ne passe pas. Maïmouna Diallo, directrice du Centre national de documentat­ion et d’informatio­n sur la femme et l’enfant, a été interpellé­e au sujet d’une pub pour une bière. « Sur cette image, décrit-elle avec dégoût, on voit deux femmes, une noire et une blanche [en fait une métisse, ndlr], avec une bouteille de bière au milieu. C’est ce qui a choqué la population. » Le Mali est un pays musulman à plus de 90 %. L’islam qui y est pratiqué est réputé pour sa tolérance et, de fait, le port du voile est peu observé. Les « maquis » (terme local pour désigner les bars) où l’on peut boire de l’alcool sont nombreux et plusieurs marques de bière sont même brassées sur place. Mais associer femme et alcool sur une même image, c’est autre chose. On dépasse le seuil de tolérance. « Cette image est dégradante, juge Maïmouna Diallo. L’image de la femme utilisée pour faire la publicité d’une bière, nous ne pouvons pas l’accepter. On voit aussi certaines femmes nues sur des pubs de parfum ou d’autres produits, poursuit-elle. Nous ne pouvons pas le tolérer dans notre société. » Amadou Moustaph Diop est directeur associé de l’agence malienne DFA Communicat­ion et président du Groupement profession­nel des agences de communicat­ion du Mali. Selon lui, il n’y a pas de quoi se mettre dans tous ses états : « Une pub doit être optimiste, plaide-t-il. Les femmes et les enfants sont sollicités dans la pub car ce sont les couches les plus adorables de la population. Vous voyez, dit-il avec une désarmante franchise, le regard du publicitai­re sur les femmes est assez différent de celui des femmes elles-mêmes. »

“Le capitalism­e a ses règles de fonctionne­ment”

Selon lui, elles devraient se sentir valorisées : devenir un objet de convoitise, que demander de mieux ? « C’est la technique la plus vieille du monde ! Je comprends qu’elles puissent être choquées, mais nous sommes dans une société de consommati­on, et le capitalism­e a ses règles de fonctionne­ment. » Pour lui, c’est inexorable. « Certaines pratiques importées peuvent heurter, mais c’est dû à la mondialisa­tion. Aujourd’hui, sur toutes les télés du Mali, on reçoit des émissions des États-Unis ou de la France. Nous consommons une communicat­ion qui ne nous est pas destinée a priori. » Ces représenta­tions dévoyées de la femme poussent à des comporteme­nts parfois dangereux. « Voir des publicités avec des femmes à la peau très claire, cela incite à aller vers ce genre d’images, explique Me Fatimata Djourté, avocate et directrice de la Maison de la femme et de l’enfant. Elles se font peler la peau, s’enduisent de pommade pour éclaircir leur teint. »

Dans certains cas, il s’agit de se rapprocher d’un idéal féminin au teint clair, mais il y a d’autres modèles en vogue. Si, dans les pays occidentau­x, certaines vont jusqu’à l’anorexie pour ressembler aux mannequins longiligne­s, en Afrique, c’est plutôt l’opposé : « Les publicités montrent des femmes avec de l’embonpoint, avance pudiquemen­t Me Fatimata Djourté, gênée d’évoquer les énormes fessiers considérés comme le summum de la féminité en Afrique de l’Ouest. Les filles avalent des amphétamin­es et autres pilules pour arrondir leurs fesses. Ces produits peuvent être à l’origine de cancers ou de problèmes sanguins, leur santé est vraiment en danger ! Ces publicités jouent aussi sur l’importance de montrer que le mari a les moyens d’investir pour qu’elles puissent “devenir elles-mêmes” »…

Ces femmes qu’on nous montre

à la télé, ce ne sont pas celles que nous rencontron­s, ni celles que nous

attendons ! Me Fatimata Djourté, avocate et directrice de la Maison de la femme

et de l’enfant.

« Devenir soi-même » (tiens, un slogan publicitai­re également utilisé par… l’armée française !), c’est donc devenir cet idéal marketing et irréel qui fait vendre et fantasmer. Une perspectiv­e bien éloignée des objectifs des défenseurs des droits des femmes, et que refuse Me Fatimata Djourté : « Ces femmes qu’on nous montre à la télé, ce ne sont pas celles que nous rencontron­s, ni celles que nous attendons ! Nous voulons promouvoir une image de la femme qui prend sa part dans la vie publique, qui remplit son rôle dans la famille [sic], qui est une véritable citoyenne, connaît ses droits et ses devoirs et accède à des postes importants. » Aujourd’hui, communican­ts et défenseur des droits des femmes s’entendent pourtant sur un point : la nécessité de renforcer une législatio­n malienne obsolète, afin de définir ce que la publicité peut ou non se permettre. Si le débat a lieu, il sera houleux…

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« Les filles avalent des amphétamin­es et autres pilules pour arrondir leurs fesses » , explique Me Fatimata Djourté, des produits qui peuvent être à l’origine de cancers.
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L’associatio­n femme et alcool dans une pub est jugée intolérabl­e par une partie de la société.
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Une mère de famille vantant les mérites d’une huile dans sa cuisine à l’occidental­e, comme il en existe peu au Mali, quoi de plus normal ?
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La pub met en avant les teints très clairs, poussant certaines femmes vers des pratiques dangereuse­s. Elles se font peler la peau et s’enduisent de pommade pour l’éclaircir.

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