Réclame : les quiches maliennes
Qu’elles soient blanches, métisses ou noires, qu’elles vivent sur le Vieux Continent ou en Afrique, les femmes sont toujours représentées dans la publicité de manière dévoyée. Depuis quelque temps, certaines affiches au Mali déclenchent des polémiques et soulèvent l’indignation. Mais la bataille n’est pas gagnée…
Femme au foyer reléguée à la popote ou femme-objet qui suscite le désir sexuel… les publicités africaines passent par les mêmes clichés qu’en Occident. Et voir sur une affiche une mère de famille en boubou présenter fièrement sa bouteille d’huile préférée au milieu de sa cuisine (une cuisine à l’occidentale comme il en existe peu dans les foyers maliens) ne bouleverse pas vraiment les esprits. Dans un pays où le Code des personnes et de la famille pose officiellement que « la femme doit obéissance à son mari », que « le mari est le chef de famille » ou que l’âge légal du mariage est fixé à 16 ans pour les filles, 18 ans pour les hommes, il existe bien d’autres motifs d’indignation.
Vous voyez, le regard du publicitaire sur les femmes est assez différent de celui des femmes
elles-mêmes Amadou Moustaph Diop, de DFA Communication
En effet, dans certains cas, ça ne passe pas. Maïmouna Diallo, directrice du Centre national de documentation et d’information sur la femme et l’enfant, a été interpellée au sujet d’une pub pour une bière. « Sur cette image, décrit-elle avec dégoût, on voit deux femmes, une noire et une blanche [en fait une métisse, ndlr], avec une bouteille de bière au milieu. C’est ce qui a choqué la population. » Le Mali est un pays musulman à plus de 90 %. L’islam qui y est pratiqué est réputé pour sa tolérance et, de fait, le port du voile est peu observé. Les « maquis » (terme local pour désigner les bars) où l’on peut boire de l’alcool sont nombreux et plusieurs marques de bière sont même brassées sur place. Mais associer femme et alcool sur une même image, c’est autre chose. On dépasse le seuil de tolérance. « Cette image est dégradante, juge Maïmouna Diallo. L’image de la femme utilisée pour faire la publicité d’une bière, nous ne pouvons pas l’accepter. On voit aussi certaines femmes nues sur des pubs de parfum ou d’autres produits, poursuit-elle. Nous ne pouvons pas le tolérer dans notre société. » Amadou Moustaph Diop est directeur associé de l’agence malienne DFA Communication et président du Groupement professionnel des agences de communication du Mali. Selon lui, il n’y a pas de quoi se mettre dans tous ses états : « Une pub doit être optimiste, plaide-t-il. Les femmes et les enfants sont sollicités dans la pub car ce sont les couches les plus adorables de la population. Vous voyez, dit-il avec une désarmante franchise, le regard du publicitaire sur les femmes est assez différent de celui des femmes elles-mêmes. »
“Le capitalisme a ses règles de fonctionnement”
Selon lui, elles devraient se sentir valorisées : devenir un objet de convoitise, que demander de mieux ? « C’est la technique la plus vieille du monde ! Je comprends qu’elles puissent être choquées, mais nous sommes dans une société de consommation, et le capitalisme a ses règles de fonctionnement. » Pour lui, c’est inexorable. « Certaines pratiques importées peuvent heurter, mais c’est dû à la mondialisation. Aujourd’hui, sur toutes les télés du Mali, on reçoit des émissions des États-Unis ou de la France. Nous consommons une communication qui ne nous est pas destinée a priori. » Ces représentations dévoyées de la femme poussent à des comportements parfois dangereux. « Voir des publicités avec des femmes à la peau très claire, cela incite à aller vers ce genre d’images, explique Me Fatimata Djourté, avocate et directrice de la Maison de la femme et de l’enfant. Elles se font peler la peau, s’enduisent de pommade pour éclaircir leur teint. »
Dans certains cas, il s’agit de se rapprocher d’un idéal féminin au teint clair, mais il y a d’autres modèles en vogue. Si, dans les pays occidentaux, certaines vont jusqu’à l’anorexie pour ressembler aux mannequins longilignes, en Afrique, c’est plutôt l’opposé : « Les publicités montrent des femmes avec de l’embonpoint, avance pudiquement Me Fatimata Djourté, gênée d’évoquer les énormes fessiers considérés comme le summum de la féminité en Afrique de l’Ouest. Les filles avalent des amphétamines et autres pilules pour arrondir leurs fesses. Ces produits peuvent être à l’origine de cancers ou de problèmes sanguins, leur santé est vraiment en danger ! Ces publicités jouent aussi sur l’importance de montrer que le mari a les moyens d’investir pour qu’elles puissent “devenir elles-mêmes” »…
Ces femmes qu’on nous montre
à la télé, ce ne sont pas celles que nous rencontrons, ni celles que nous
attendons ! Me Fatimata Djourté, avocate et directrice de la Maison de la femme
et de l’enfant.
« Devenir soi-même » (tiens, un slogan publicitaire également utilisé par… l’armée française !), c’est donc devenir cet idéal marketing et irréel qui fait vendre et fantasmer. Une perspective bien éloignée des objectifs des défenseurs des droits des femmes, et que refuse Me Fatimata Djourté : « Ces femmes qu’on nous montre à la télé, ce ne sont pas celles que nous rencontrons, ni celles que nous attendons ! Nous voulons promouvoir une image de la femme qui prend sa part dans la vie publique, qui remplit son rôle dans la famille [sic], qui est une véritable citoyenne, connaît ses droits et ses devoirs et accède à des postes importants. » Aujourd’hui, communicants et défenseur des droits des femmes s’entendent pourtant sur un point : la nécessité de renforcer une législation malienne obsolète, afin de définir ce que la publicité peut ou non se permettre. Si le débat a lieu, il sera houleux…