Squaws : amères Indiennes
Pour l’écrivain, réalisateur et ethnologue Patrick Deval, les Amérindiennes sont les grandes oubliées des États-unis. Les militantes féministes d’aujourd’hui sont pourtant leurs héritières. Dans son passionnant essai intitulé “Squaws, la mémoire oubliée”,
La squaw inculte, soumise et séductrice, cette image entretenue par le folklore américain, on la connaît bien, hélas. Elle sévissait à l’époque de ces impensables zoos et spectacles humains, dans lesquels des peuples exterminés étaient exhibés chez Barnum et Buffalo Bill avec son Wild West Show. En 1905, sa cavalerie parada avec des tribus indiennes au pied de la tour Eiffel devant trois millions de Parisiens. Patrick Deval, auteur de Squaws, la mémoire oubliée, est catégorique : « C’est Hollywood qui écrit l’histoire de l’Amérique, cela a toujours été et cela continue. Jusqu’à l’Irak aujourd’hui. Heureusement, la figure de la squaw a évolué avec Little Big Man et Danse avec les loups, on y montre la logique, la noblesse d’âme des tribus. » Souvenons-nous de la jeune actrice indienne Sacheen Littlefeather, qui, en 1973, vêtue de sa tenue apache, vint chercher à la place de Marlon Brando l’oscar du meilleur acteur pour son rôle dans Le Parrain. Brando dénonçait ainsi le traitement raciste infligé par Hollywood aux Amérindiens.
Des modèles pour les suffragettes
Dans la majorité des tribus, les squaws étaient des féministes avant l’heure. Leur mode de vie a même influencé le mouvement des suffragettes américaines à la fin du xixe siècle. « L’ethnologue Alice Fletcher, qui vécut dans une tribu sioux dans les années 1880, clama à la face du monde blanc que les Indiennes jouissaient d’une grande liberté et que le droit de divorcer (les Cherokees appelaient cela “la séparation des couvertures”), l’accès à la propriété, le droit de vote et celui de se reproduire leur étaient reconnus. » Dans les conseils, les femmes étaient ainsi largement représentées. « Les Iroquois avaient pensé qu’on ne devait pas se priver de l’assistance d’un sexe dont l’esprit, délié et ingénieux, est fécond en ressources et sait agir sur le coeur humain », écrivit Chateaubriand dans Voyage en Amérique en 1827. Et Patrick Deval rappelle que « la Constitution des États-Unis d’Amérique, qui persiste jusqu’à nos jours, a été influencée par celle de la Confédération des six nations iroquoises ! » Créée en 1570, celle-ci avait en effet impressionné les colons lorsqu’ils l’avaient découverte au xviie siècle. Dans son enquête, l’auteur aborde l’apport historique de certaines Amérindiennes, qui ne figurent pas dans les programmes scolaires. Rien à voir avec le mythe dégoulinant de bons sentiments de la princesse Pocahontas, cette squaw docile acquise à la cause des colons. « Il faut citer Sarah Winnemucca, de la tribu des Paiutes, qui publia au milieu du xixe siècle le premier ouvrage d’auto-ethnologie de l’Histoire. Ou Buffalo Calf Road Woman, qui combattit aux côtés de son mari à Little Bighorn [dernière révolte victorieuse des Indiens, ndlr]. La mémoire cheyenne raconte qu’elle désarçonna le général Custer ! » L’ethnologue mentionne d’autres figures oubliées, comme Zitkala-Sa, activiste politique Iakota de la Belle Époque, qui composa le premier opéra indien, The Sun Dance, présenté par des Indiens en Utah en 1913 et à New York en 1938.
Un lavage de cerveau bien orchestré
Concernant la conquête de l’Ouest, Patrick Deval emploie le mot effrayant d’« ethnocide » : « Le génocide assassine les peuples dans leurs corps, l’ethnocide les tue dans leur esprit. »
Après avoir chassé les Indiens de leurs terres dès 1831 puis les avoir parqués dans des réserves à partir de 1851, les colons entreprirent de les éduquer. Leur intégration à la société américaine devait nécessairement passer par l’abandon de leurs modes de vie. La première école pour Indiens fut fondée en 1879 par le capitaine Richard Henry Pratt, qui avait mis au point sa méthode d’enseignement… dans un pénitencier de Floride. La devise du capitaine ? « Détruis l’Indien pour sauver l’homme. » Il faudra ensuite attendre la loi sur l’Autodétermination et l’aide à l’éducation, votée en 1975, pour que l’enseignement destiné aux élèves indigènes soit décentralisé et qu’ils puissent enfin étudier dans l’école de leur choix.
La renaissance par les femmes
L’intérêt pour le sort des Amérindiens date de l’apparition de l’American Indian Movement, organisation militante fondée en 1968 et qui défend leurs droits et leurs traditions. Patrick Deval cite un proverbe cheyenne : « Une nation reste insoumise tant que le coeur de ses femmes n’est pas terrassé. Alors, seulement, et qu’importe la bravoure de ses guerriers ou la force de ses armes, ce sera la fin. » Or, il semble que le coeur des Indiennes soit bien vif. Beaucoup sont écrivaines, avocates, militantes politiques. Elles participent à la renaissance de l’identité amérindienne, que l’on observe depuis quelques années. « Je suis convaincu que cette renaissance va passer par les femmes. Il y a l’exemple de Theresa Spence, cheffe de la nation Attawapiskat du Canada. En effet, en 2012, elle a entrepris une grève de la faim pour lutter en faveur de la préservation des forêts, des lacs et des rivières contre le bétonnage et les barrages. Elle a créé le mouvement dont le nom est significatif, précise Patrick Deval. Il s’appelle “Idle No More”, ce qui veut dire : “La passivité, c’est fini”. »