Causette

King Kong Théorie : Despentes et des ados

Pour des milliers de lectrices, le pamphlet féministe de Virginie Despentes, publié en 2006, a été un choc, une révolution intime. Huit ans plus tard, le texte est adapté au théâtre, et nous y avons amené des ados, histoire de voir comment, aujourd’hui, i

- Isabelle MOT ROT et Sarah GAN DILLOT Photos : Magali COROUGE pour Causette

Le rendez-vous a lieu un mercredi après-midi, devant le théâtre La Pépinière, dans le quartier de l’Opéra, à Paris. À l’invitation de Causette, six filles et deux garçons âgés de 15 à 18 ans viennent assister aux répétition­s de King Kong Théorie, l’adaptation théâtrale de la bombe féministe et autobiogra­phique lâchée en 2006 par Virginie Despentes. Certains sont parisiens, d’autres viennent de Trappes et font partie de la troupe d’improvisat­ion Déclic Théâtre, qui a vu débuter Jamel Debbouze. La plupart n’ont jamais entendu parler de Despentes. Et pour la majorité, la question féministe n’est pas un sujet de préoccupat­ion… Tant mieux. Les impression­s n’en seront que plus vives. Les jeunes pénètrent dans le théâtre silencieus­ement, avec un mélange de curiosité et d’intimidati­on. La metteuse en scène, Vanessa Larré, les prévient : « Le texte est trash. Si vous ne supportez pas, vous avez le droit de sortir. » Ils se demandent un peu à quelle sauce ils vont être mangés. Sur scène, les trois comédienne­s, Anne Azoulay, Barbara Schulz et Valérie de Dietrich, répètent une scène qui dénonce l’industrie du porno et son exploitati­on des femmes. L’un des passages les plus crus du livre. Les comédienne­s sont en cuir, minijupes et talons hauts, sur un plateau rouge et noir. Elles disent du Despentes, « Depuis la sortie du livre, ce qui a changé, c’est que les idées de Despentes se sont banalisées, dans le bon sens du terme. Tout le monde a conscience que le porno est fait par des hommes, pour des hommes, et qu’il avilit les femmes.» Emma, 16 ans donc elles prononcent souvent les mots « bite », « chatte », « couilles ». Les ados ricanent, on sent la gêne de certains, mais c’est clair, ils sont attentifs. Et personne ne sort. Après la répétition, nous nous installons pour un échange avec Vanessa Larré et les comédienne­s. Les jeunes, un peu sous le choc, parlent de leur malaise, posent des questions

sur la mise en scène. Timides au début, ils ont finalement pas mal de choses à dire, mais le travail doit reprendre, et la metteuse en scène nous met gentiment dehors. « Ce texte me semble d’actualité! Il y a toujours des féministes qui cherchent à se faire entendre tant bien que mal.» Marine, 17 ans Repli autour d’un Coca. On reparle de la crudité du texte. Le fait qu’il a été écrit par une femme est, pour certains, encore plus choquant. Les garçons sont peut-être les plus remués : « Trop de sexe tue le sexe. Pour moi, c’est trop hard-core » , déclare Yacine. Sami renchérit : « Despentes a un style différent des autres auteurs que j’ai pu lire. Un langage familier et plutôt vulgaire. Mais on peut comprendre sa violence quand on sait qu’elle a été violée à 17 ans. » Les filles aussi ont relevé le langage trash, mais elles sont impression­nées par le message de « J’ai aimé le côté trash du texte. Ce que je n’ai pas aimé, c’est le sentiment d’être obligée de penser dans le même sens.» Adeline, 17 ans l’auteure, la force de sa pensée : « Les mots sont cash, c’est vrai, mais elle ne tourne pas autour du pot, elle dit ce qu’elle pense et n’a pas peur de choquer » , analyse Hortense. Et Zoé d’ajouter : « J’aime bien que les personnage­s féminins puissent tenir tête aux hommes à travers leur réflexion. L’auteure est franche, on sent qu’elle ne craint pas la critique. » Quand on leur demande si le texte leur semble daté et si, pour eux, cette vision du féminisme est dépassée, la réponse est unanime : c’est « Non ! » Et Hortense d’argumenter : « Il reste des progrès à faire. Avec mes copines, quand on râle au sujet des pubs avec des filles à poil, on nous traite de féministes, comme si c’était une insulte ! Regardez le clip de Shakira et Rihanna, Can’t Remember to Forget You. Elles se trémoussen­t à quatre pattes pour plaire aux hommes et faire du business. C’est de la prostituti­on déguisée ! » Adeline, qui fait partie de la troupe d’impro de Trappes, conclut : « Je n’aurais jamais lu ce livre ou vu cette pièce si on ne m’y avait pas amenée. Je pense que ça va beaucoup m’apporter. Virginie Despentes est une femme très courageuse. S’exposer ainsi pour faire avancer la cause des femmes, c’est fort. »

 ??  ?? Pendant la pause, les comédienne­s Anne Azoulay (sur scène, à gauche) et Barbara Schulz (à droite) discutent avec les jeunes. Au premier plan, Soumaya explique : « Il y a de l’humour dans la mise en scène, ça met un peu à distance le malaise que...
Pendant la pause, les comédienne­s Anne Azoulay (sur scène, à gauche) et Barbara Schulz (à droite) discutent avec les jeunes. Au premier plan, Soumaya explique : « Il y a de l’humour dans la mise en scène, ça met un peu à distance le malaise que...
 ??  ?? Hortense, Zoé et Adeline pendant la pause. Zoé : « Il reste toujours des inégalités entre les hommes et les femmes. Entendre un texte tel que celui-ci, ça peut encore amener du débat ! »
Hortense, Zoé et Adeline pendant la pause. Zoé : « Il reste toujours des inégalités entre les hommes et les femmes. Entendre un texte tel que celui-ci, ça peut encore amener du débat ! »
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Sami et Marine dialoguent avec la metteuse en scène et les comédienne­s. Sami : « Le fait que le texte soit dit par des comédienne­s le rend encore plus percutant. On se le prend en pleine tête. »

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