Causette

Art of Popof, c’est d’la bombe !

“L’art est dans l’air… Inspire.” C’est l’une des phrases d’artof Popof qui accompagne­nt parfois ses graffitis. “Causette” a rencontré le graffeur sous la verrière du Studio Albatros, à Montreuil, où il organise cet automne une nouvelle édition de “Traits

- Carine Roy – Photo : Antoine HARINTHE pour Causette

Naissance : Moscou, 1975. Nom de graffeur (et poète) : Artof Popof, en souvenir du surnom que ses copains lui ont donné à l’école primaire. Popof, en Russie, c’est comme Dupont en France. Signature graphique : les lettres de son nom dessinées avec un pinceau à cinq traits qu’il a fabriqué. Popof, « c’est un être urbain issu d’une longue lignée de piétons pas sages », dit-il de lui-même. « Je suis un témoin, un terrien, juste un t’es-moins-que-rien… », ajoute-t-il dans l’un de ses slams. Sa démarche artistique est empreinte de l’ombre paternelle : Alexandre Ginzburg, journalist­e, poète, activiste des droits de l’homme et dissident russe, ami d’Alexandre Soljenitsy­ne. D’ailleurs, Natasha, la femme de l’auteur de L’Archipel du goulag, est la marraine de Popof. C’est de famille, Popof écrit et peint avec dérision sur les murs : « Crimée châtiment », « Un rond c’est un carré qui a mal tourné » … Entre 1960 et 1979, son père fait par intermitte­nce près de dix ans de goulag. Sa libération a lieu dans le cadre d’un échange de prisonnier­s entre les États-Unis et l’URSS. En 1979, il sera donc expulsé avec d’autres familles de dissidents. Départ pour New York. « J’avais 4-5 ans. Mon père s’était marié avec ma mère au goulag. Il évoquait sa période russe avec des histoires drôles. Il m’a raconté qu’il avait trafiqué les signaux urbains à Moscou. Sur les plaques des rues, il changeait les noms. Par exemple, il inscrivait “Avenue Pas Pris”. Des années plus tard, j’ai fait la même

“Le gra ffiti, c’est comme le fre-ja zz. On improvise. C’est un acte politique, social, grat uit, libre”

chose sans le savoir : j’écrivais “Popof” avec la même typo et la même couleur, mais à Paris ! » Après quelque temps passé à New York, la famille s’installe en France. À 13 ans, Popof pose ses premiers tags dans les rues de la capitale. Il rejoint ensuite le MAC (Mort aux cons), un groupe de graffeurs avec lesquels il peint sur les murs des terrains vagues des XIe et XIIe arrondisse­ments.

« Mon père appréciait assez l’idée. J’ai retrouvé des photos de mes graffitis qu’il avait prises lui-même ! [Son père est décédé en 2002, ndlr.] » Et puis, à 20 ans, il veut peaufiner son style. Avec son book de graffs sous le bras, il s’inscrit aux beaux-arts de Versailles. Depuis, il joue sur les deux terrains : la rue et l’atelier. « Je n’ai pas eu mon diplôme et j’en suis fier. L’essentiel, pour moi, c’est d’être dans la rue. Le graffiti, c’est comme le free-jazz. On improvise. C’est un acte politique, social, gratuit, libre. En 2005, j’ai peint sur l’un des murs extérieurs du Studio Albatros, à Montreuil. J’ai posé des ailes d’ange avec une ombre au milieu et j’ai marqué “Être ange”. Bizarremen­t, ce graffiti, personne n’y touche depuis neuf ans. Une nuit, j’étais en train de refaire le fond quand la voiture des policiers de la BAC [Brigade anticrimin­alité, ndlr] a freiné à ma hauteur. Ils m’ont dit : “Tu ne repeins pas les ailes d’ange, j’espère ?” [Rires.] Que ce soit la pire des racailles ou le policier de la BAC, tous ont adhéré à ce graff-là. C’est ça, la magie ! » Le graffiti, c’est aussi le goût du risque. On peut à tout moment se faire interpelle­r. « C’est un challenge. Moi, je le fais plus le jour… Mais des gardes à vue, j’en fais encore de temps en temps, ça fait partie du job. Je connais le rythme de la rue, les murs qui vont être “repassés”. Y a des murs qui n’appartienn­ent à personne. Les flics ne trouvent personne pour porter plainte ! L’idée, de toute façon, c’est de peindre avec les gens, pas contre eux. C’est de raconter quelque chose. Par exemple, j’aime bien faire le sol. Pour le sol, y a un vide juridique. » Un passage clouté version Popof sera forcément agrémenté d’une phrase peinte en blanc en travers de la route : « L’égout et les couleurs » ou « Popof, piéton pas sage ». « Le truc, c’est de mettre un peu d’amour dans cette mécanique. Un peu de poésie graphique. Ça peut tenir quatre, cinq, six mois... » Son plus beau souvenir de graff ? C’était dans le Karnataka, près de Goa, en Inde. « Je voulais dessiner un dieu Shiva sur un mur, près d’un dieu Ganesh qui était déjà peint. Et je me suis retrouvé à peindre avec trente Indiens derrière moi. Au début, ils rigolaient un peu et puis, au bout d’un moment, ils faisaient tous “Wouah ! hé ! ho !”. Comme dans un film de Bollywood. Deux ans plus tard, un ami qui est retourné là-bas m’a dit que, tous les matins, des gens faisaient leurs prières devant ! Le graff servait vraiment à quelque chose de mystique. » Aujourd’hui, Artof Popof est en résidence à Montreuil (Seine-Saint-Denis). Il prépare la prochaine édition de « Traits d’union », une rencontre d’artistes : « Il y aura l’homme en blanc de Jérôme Mesnager – on se fait souvent des clins d’oeil sur les murs par graffs interposés –, on verra aussi M. Chat, graff de Thoma Vuille, et Konstantin Altounine, le peintre russe qui a dessiné Medvedev et Poutine en soutien-gorge et nuisette et qui s’est enfui en 2013 de Russie*. Évidemment, je suis très touché par son histoire. » Une oeuvre de Popof se vend entre 500 et 5 000 euros. 5 000, c’est le prix de la toile qu’il a vendue à Bill Gates, lors de l’opération « Living Proof » en 2011, à Paris. Une opération pour sensibilis­er les dirigeants occidentau­x aux actions de la Fondation Bill & Melinda Gates. « Ils ont mis des mois à me payer ! » plaisante Popof. Il avait signé en bas du graff : « Popof is not Madoff ! »

À voir

« Traits d’union, Électri-Cité», du 10 au 13 octobre au Studio Albatros, 52, rue du Sergent-Bobillot, Montreuil (93). Entrée libre. Strip Art, galerie qui diffuse les oeuvres d’Artof Popof : www.stripart.com

À lire

Artof Popof, libre comme l’art. Critères Éditions, 2011.

* Konstantin Altounine dénonçait ainsi les lois homophobes. Poursuivi, il a demandé l’asile politique à la France.

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Artof Popof à Montreuil (Seine-Saint-Denis), devant son graff « Être ange », qu’il a peint en 2005 et auquel personne n’a touché depuis, pas même la police.
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Sa signature, avec un pinceau à cinq traits qu’il a fabriqué.

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