Pour les pitchous

L’avant- coureur

La première édition de l’Histoire de Julie qui avait une ombre de garçon date de 1975. Une nouvelle édition très réussie, au charme vintage, vient de paraître. Quarante ans plus tard, cet album, qui interrogeait déjà la notion de genre, est toujours au coeur de l’actualité. Julie est une petite fille débraillée, « pas polie » , « pas très douce » , un « garçon manqué », comme aiment à le répéter ses parents. Et figurez-vous qu’un matin, au réveil, Julie se lève avec une ombre de garçon ! Elle fera tout pour s’en débarrasser, allant jusqu’à s’enterrer pour échapper à la lumière et, du même coup, à sa silhouette masculine. Le texte évoque en creux la souffrance que l’on ressent quand on ne correspond pas aux normes établies et la violence des injonctions à retourner dans LE droit chemin. Il donne la clé de la liberté qu’est l’acceptation de soi. « Moi je crois qu’on peut être fille et garçon, les deux à la fois si on veut. Tant pis pour les étiquettes. On a le droit ! »

Histoire de Julie qui avait une ombre de garçon, de Christian Bruel et Anne Bozellec. Éd. Thierry Magnier, 16,50 euros. À partir de 5 ans.

L’inattendu

« Quand Ferdinand est né, il n’était pas tout à fait fini. Entre son nez et sa bouche, c’était resté ouvert. Cela lui faisait comme une petite trompe d’éléphant […]. Au fond des yeux de Ferdinand, il y a comme des petits trous. Il voit comme s’il avait des confettis dans les yeux. » Ferdinand est un enfant atteint de plusieurs handicaps, mais il grandit au sein d’une famille aimante et confiante. Il a des manques (vue, ouïe, langage articulé), mais il développe une grande capacité d’adaptation : c’est par les mains qu’il entend (grâce aux vibrations), qu’il parle (en langue des signes). Comme bien d’autres jeunes de son âge, il fait des blagues, essaie d’apprendre à lire, à écrire et à compter, adore les balades et les jeux vidéo. Il a aussi une passion toute personnelle : «Aller voir les réfrigérateurs dans les grands magasins. Il connaît toutes les marques ! » Cet album n’est pas une fiction : avec humour, parfois, il invite les petits – dès 3 ans – à se familiariser avec la différence et à comprendre qu’une personne ne se réduit pas à son handicap.

À la rencontre de Ferdinand, de Jean-Benoît Patricot et Francesca Pollock. HD Éditions, 10 euros. À partir de 3 ans.

L’initiatique

Mathilde et Lou ont 18 ans, leur bac, des projets d’indépendance plein la tête et leur salaire de serveuse en poche. Elles partent donc pour un mois de vacances à Madagascar, au bord d’un « lagon de pub pour gel douche ». Mais le paradis ne tarde pas à se changer en enfer lorsque la route des deux amies croise celle d’un démon blanc, véritable image du colon persuadé que tout s’achète ou se prend impunément quand on est riche dans un pays pauvre. Même la vie. Et le doux récit des vacances se change en un thriller efficace. Marion Brunet (primée pour son premier livre, Frangine) signe là un roman magnifique d’intelligence et d’empathie, décrivant avec finesse et réalisme les relations d’amitié unissant les adolescentes. Mathilde, la fonceuse, et Lou, plus réfléchie, vont vivre une expérience traumatisante, qui précipitera leur entrée dans l’âge adulte. La fierté, l’autonomie, l’intelligence, la liberté et, bien sûr, l’amitié seront les armes de nos héroïnes. Et croyez bien qu’elles savent les manier...

La Gueule du loup, de Marion Brunet. Éd. Sarbacane, 15,50 euros. À partir de 15 ans.