C’ est pas d’ton âge
Les tétons triomphants sur les plages, symbole indissociable de l’émancipation des femmes après 68, n’ont plus la cote. Si 87 % des Français estiment que le topless représente la liberté pour les femmes, seules 18 % d’entre elles le pratiquent aujourd’hui alors qu’elles sont 38 % à avoir tombé le haut par le passé 1. « Il y a aujourd’hui un grand retour de la pudeur, confirme Frédéric Monneyron 2, sociologue de la mode. Et si les mères repassent au deux-pièces, il est assez logique que les petites filles veuillent les imiter en ayant, elles aussi, leur haut de maillot. » Mais il faudrait ne pas avoir les yeux bien en face des trous pour ne pas voir dans le bikini un bout de tissu sexualisé. Alors pourquoi mettre du sexe là où il n’y en a pas en couvrant des seins absents ? Selon le sociologue, il y a une projection des adultes sur le « risque » de la pédophilie : « L’affaire d’Outreau a marqué l’imaginaire collectif, et les parents ne voient plus les choses comme avant. » C’est d’ailleurs la raison évoquée par les femmes maîtres-nageurs de la piscine de Montréal pour justifier l’obligation du port du haut de maillot de bain – bien qu’aucun règlement ne le mentionnait. Si on résume : pour éloigner les pédophiles (comme la RATP qui conseille aux Parisiens de « ne pas “tenter” les pickpockets », bah voyons…), habillons les petites filles avec des vêtements de femmes. « C’est grotesque ! répond Corinne Destal, maître de conférences en sciences de l’information et de la communication à l’université Bordeaux-3 et spécialiste des stéréotypes sexués. Il s’agit certainement
d’un argument prétexte. Ce n’est pas un haut de maillot de bain sur une gamine de 3 ans qui va changer quoi que ce soit vis-à-vis des pédophiles. C’est très récent, ces interdictions pour contrôler la manière dont les petites filles sont habillées dans l’espace public. Des lois sont mises en place pour les concours de minimiss, certains lycées interdisent le port du short pour les filles… Tout en l’autorisant s’il est porté sur des collants. Il faut fournir des arguments : certains tiennent la route, d’autres non. » Même si on surveille un peu, récemment, l’habillement des garçons (jeans au-dessous des fesses interdits dans le règlement de certaines écoles), on le fait plus mollement. Rien de surprenant pour Frédéric Monneyron : la tenue vestimentaire des filles est culturellement scrutée avec plus d’attention que celle des garçons. « La mode est quelque chose de féminin avant tout. Au xviiie siècle, on décrivait la mode masculine comme une “non-mode” ! Aujourd’hui, il en reste des traces. Et ça se projette sur les enfants : depuis une vingtaine d’années, la mode enfant est devenue un marché important, et les petites filles y ont une plus grande place. » Entre les robes très cintrées taille 8 ans et les soutiens-gorge rembourrés en 75A, force est de constater qu’il y a une tendance globale à habiller les gamines comme des femmes. Corinne Destal confirme : « La sexualisation croissante de notre société se caractérise naturellement par une tendance à proposer aux petites filles des panoplies d’adultes. »