Causette

Se refaire une virginité

La reconstruc­tion chirurgica­le de l’hymen (hyménoplas­tie) divise le corps médical. Faut-il aider la patiente en détresse ou refuser d’entretenir ce mythe, qui serait le symbole de la virginité ?

- Anna Cuxac

MCasser son sabot En patois solognot, celle qui a cassé son sabot perd le droit de porter un bouquet de fleurs d’oranger… Attribut qui symbolise la virginité bien sûr !

ais vous savez, Sarah, que le prophète Mahomet s’est marié avec Khadija, qui était veuve et donc qui n’était pas vierge ? » demande le Dr Abecassis, chirurgien esthétique. À l’autre bout du téléphone, la jeune fille dit qu’elle sait bien, mais qu’elle n’a vraiment pas le choix : il lui faut être équipée d’un hymen pour son mariage, qui a lieu dans un mois. « On va faire en sorte que cette membrane soit comme avant, la rassure-t-il. Je ne peux pas vous garantir que cela saignera. Les hommes savent que, parfois, ça ne saigne pas, mais il sentira une résistance. » Une anesthésie, une demi-heure d’opération, et 2 000 à 4 000 euros : c’est le prix à débourser pour se racheter une virginité, en France. La reconstruc- tion de l’hymen échappe à toute comptabili­té de la Sécurité sociale. Ce que l’on sait, c’est que les patientes viennent majoritair­ement frapper à la porte des chirurgien­s, écrasées par le poids du conservati­sme de leur famille ou du futur époux, qui exigent une nuit de noces sanguinole­nte. Elles l’ont intérioris­é. Mais, parfois, ce sont des femmes violées ou encore des ex-prostituée­s qui se font recoudre pour surpasser un traumatism­e.

Un leurre chirurgica­l

Concrèteme­nt, les chirurgien­s suturent les lambeaux restants de la membrane pour la recréer. S’ils n’ont plus assez de matière, ils utilisent la muqueuse vaginale à proximité. « C’est un leurre chirurgica­l qui consiste à faire saigner une femme », s’indigne la sage-femme Chantal Birman. Souvent, les chirurgien­s esthétique­s qui la pratiquent ont longtemps hésité avant de s’y résoudre. « Ce n’est pas à moi seul que je

changerai la société, je ne peux pas me substituer aux pouvoirs publics. En attendant, j’ai le sentiment d’écouter les demandes des femmes », argue le Dr Abecassis, qui n’a franchi le pas qu’après dix ans d’exercice. Il en pratique aujourd’hui deux par semaine en moyenne. « On aide surtout des femmes en détresse », renchérit le chirurgien esthétique Stéphane Smarrito. Oui mais. « On n’avancera pas si on continue à accepter de recoudre des hymens », note Chantal Birman. Et à laisser vivre la symbolique de virginité rattachée à ce petit bout de peau. Pour celles qui ne peuvent se payer une hyménoplas­tie, il y a d’autres techniques. Le faux hymen : le foie de volaille inséré dans le vagin, par exemple, qui ne coûte que 60 euros sur Internet… Ou la sodomie, histoire de rester vierge au moins côté face. L’hypocrisie s’accompagne parfois d’une demande de certificat de virginité. La gynécologu­e Claudine Zimmer se retranche derrière les positions du Conseil national de l’ordre des médecins, qui indique que lorsque l’examen pour délivrer le fameux sésame « n’a aucune justificat­ion médicale, il ne relève pas du rôle du médecin » . Elle n’en a jamais délivré. Quand un couple se rend chez le Dr Zimmer, en quête de l’attestatio­n, pour Madame, destinée à rassurer les familles, elle a cette question à l’adresse de Monsieur : « Il vous en faudra une à vous aussi ? »

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