Causette

Gare au temps, toujours puceau

- A. C.

Ils sont entrés dans la vie adulte, ont un métier, des amis, mais sont toujours vierges, malgré eux. Cet état qui leur pèse, devenu au fil du temps une souffrance, ils l’appellent VT, pour « virginité tardive ». La communauté des VT francophon­es, hommes et femmes, a son forum où

1 s’échangent les conseils pour séduire et s’épanouir enfin dans sa vie sexuelle… et sentimenta­le surtout. On leur en a touché un mot.

Blocage

Sur le forum, c’est un jeunot. Eliot a seulement 22 ans, mais

2 est déjà complexé par sa virginité. Dans sa ville, certes, il y a « des discothèqu­es », mais il n’a jamais su y faire avec les filles. Planqué derrière sa volonté de « tomber amoureux », il idéalise la rencontre avec l’inconnue qui l’aimera et qu’il aimera. Tout le reste lui semble trop trivial. Boire deux-trois verres pour se désinhiber et avoir le courage d’aborder une fille ? La voix chevrote dans le téléphone : « Je suis à moitié choqué quand tu me parles d’alcool. J’ai des parents assez protecteur­s… Je n’ai juste pas l’habitude de faire ça. »

Confiance en soi

L’un des points communs à tous les VT, c’est le manque de confiance en eux. Ils se disent pêle-mêle « introverti », « émotif », « hypersensi­ble », « anxieux social, mais c’est pathologiq­ue », ou « tout simplement malhabile avec les filles » . Et l’absence de confiance en soi, ça s’entretient. « Je suis entrée dans une sorte de cercle vicieux : comment avoir confiance en moi alors que je ne plais à personne, et que personne ne me désire ? Mais pour plaire, il faut d’abord avoir confiance en soi pour renvoyer une image positive », analyse Laure, 38 ans.

Entourage

Autour d’eux, les amis se mettent en couple, racontent leurs déboires amoureux, projettent d’avoir des enfants. Thomas, un professeur de 29 ans, se sent « monstrueux ». Il vit sa virginité comme « une preuve de dysfonctio­nnement humain ». Alors, forcément, le sujet est un sacré tabou. « Mes parents ne le savent pas, mais ils insistent de plus en plus lourdement pour que je me trouve une copine. » Maxime, lui, a plus de chance : « Mes proches le savent et ont la délicatess­e de ne pas aborder le sujet, m’acceptent tel que je suis. Mais c’est une chose dont je ne parle pas, et je vis par procuratio­n les relations des autres. » Parfois, le puceau moqué dans la cour de récré prend sa revanche : « Je l’ai avoué une fois à un garçon qui s’est enfui. […] Je viens de rencontrer quelqu’un. On avance doucement, et je lui en ai parlé. Cet homme est tellement bien que, quelque part, je suis heureuse d’être toujours vierge et de pouvoir faire de lui cette personne spéciale », confie Eva, 26 ans.

Solitude

« Comme de nombreux VT ici, ma virginité n’est pas le fond du problème – bien que, comme tout le monde, j’ai des envies. Non, le vrai problème, c’est la solitude sentimenta­le », explique Marion, 22 ans. Charles, lui, s’est finalement payé une escort à 31 ans, mais reste sur le forum. Et pour cause : « Si cette expérience a allégé le fardeau mental, elle n’a en aucun cas comblé le vide affectif. »

Temps

« J’espère qu’il n’est pas trop tard, tout simplement », dit Maxime, 35 ans. Pour les VT, plus le temps passe, plus le « problème » est difficile à surmonter. Et puis, il y a le sentiment d’avoir été dépossédé : « Il va falloir que je porte toute ma vie la blessure de n’avoir rien vécu durant ma vingtaine, censée être la plus belle période de la vie », regrette Charles, 33 ans, qui n’est plus vierge depuis deux ans. Mais le créateur du forum, Jean-Baptiste, plaide pour que le rapport au temps dépende de l’appréciati­on de l’individu et ne soit plus dicté par la société : « Il n’y a pas d’âge pour passer le cap. Il faut changer les mentalités des gens qui pensent qu’il y a un âge pour cela. »

Voir le loup Celle qui a vu le loup a perdu son innocence dans les plaisirs de la chair. Alors que celui qui l’a vu est aguerri, expériment­é, a vécu. Chacun sa spécialité, donc.

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