Causette

Sonia change de camp

En quelques semaines, elle passée de Sauvons Calais, un groupe d' extrême droite, à Calais Ouverture et Humanité, une associatio­n d' aide aux migrants, Derrière ce changement radical, la confrontat­ion à la réalité de leurs conditions de vie. Récit d' une

- ELSA SABADO ET ANNA BENJAMIN JEAN-BAPTISTE COURTIER POUR CAUSETTE

« J’ai été embrigadée, je me suis égarée. Et puis j’ai ouvert les yeux. » Dans la cuisine de sa maison, à Calais, Sonia, 29 ans, livre sans façon le récit de sa courte mais dense vie militante. À l’étage, Aamir, son compagnon afghan, préfère ne pas se montrer. Depuis quelques mois, cette grande brune extraverti­e ferraille aux côtés des migrants. Une surprise, lorsqu’on connaît son parcours.

Fin 2013, Kevin Reche fonde Sauvons Calais, un collectif de lutte contre les migrants. Svastika 1 tatoué sur le torse, ce minet de 19 ans est depuis devenu l’icône du Parti de la France, fondé par Carl Lang et d’autres ex-Front national. À l’époque, l’embryon de leader est l’objet d’insultes homophobes. Sonia, indignée, lui fait parvenir via Facebook un message de soutien. Une correspond­ance suivie s’engage. Derrière son écran, Sonia succombe au charme de Kevin et, à travers lui, aux sirènes de l’extrême droite. Entre janvier et avril 2014, le nazillon instille peu à peu en elle la crainte de l’étranger : « Avant, les migrants m’étaient invisibles. Puis j’ai commencé à les voir partout, partout menaçants. Je fermais ma porte à clé, je cachais une barre de fer sous le siège de ma voiture », se souvient-elle.

Sonia est la fille d’un policier et d’une assistante maternelle « qui ne [ lui] ont jamais avoué de quel bord ils étaient parce que ça ne parlait jamais politique à la maison ». Elle pensait, après son bac pro vente, endosser comme son père l’uniforme de la BAC (brigade anticrimin­alité). Mais la naissance de sa fille Melissa, lorsqu’elle a 22 ans, balaie son rêve. La jeune maman enchaîne les jobs : vente à domicile, fleuriste… Puis décide de cesser de travailler et de s’occuper de son enfant. C’est ce qu’elle fait encore lorsqu’elle rencontre Kevin.

RONDES DE VIGILANCE ET CAILLASSAG­E

Même si celui-ci n’a pas encore 20 ans – dix ans de moins que Sonia –, tous deux partagent les souffrance­s d’une jeunesse déclassée, paumée. Quatre mois durant, Sonia seconde celui que l’on surnomme K3 (pour Kevin et Ku Klux Klan). Elle l’accompagne la nuit dans ses « rondes de vigilance », arpentant les rues de Calais pour surveiller les migrants et les militants. Elle prend part au caillassag­e d’une ferme investie par des No Border 2 à Coulogne. Elle s’encanaille dans les soirées de la quinzaine de militants de Sauvons Calais. Pourtant, Kevin ne cédera jamais à ses avances, c’est seulement une amitié privilégié­e qui les lie.

Sonia interpelle les pro-migrants en commentant frénétique­ment la page Facebook de Calais Ouverture et Humanité, une associatio­n antiracist­e. « Au début, Sonia était hyper remontée, se souvient Séverine Mayer, la présidente. Elle nous traitait de bobos de gauche, écrivait que l’on ne comprendra­it que lorsqu’on se ferait

“ Certains disaient que j’étais raciste et que je le resterais. Avec le temps, ils ont compris que mon engagement était sincère ”

agresser par des migrants. Je lui ai proposé d’aller se faire une opinion par elle-même. » Contre toute attente, l’idée fait son chemin dans la tête de Sonia, qui, depuis quelques semaines, s’interroge sur le bien-fondé de ses actions. En avril, elle se décide à passer pour la première fois la porte du squat Victor-Hugo, réservé aux femmes et aux enfants exilés. Devant les migrantes entassées dans des conditions sordides, elle s’effondre : « J’étais en larmes ! J’ai parlé aux femmes, je leur ai dit que je m’excusais, que ce n’était pas une vie pour elles. »

Sonia décide de rompre toute relation avec Sauvons Calais et Kevin, devenu à ses yeux « un manipulate­ur ». Calais est une ville sinistrée, déchirée par la question des migrants. « Bien des Calaisiens ne connaissen­t rien d’autre que leur quartier, croient les foutaises qu’on raconte sur les migrants et recrachent le discours simpliste de Sauvons Calais. Mais dès qu’ils sont concrèteme­nt à leur contact, beaucoup changent d’avis », assure Séverine Mayer.

LA TRANSFUGE QUI DÉFIE LES POLICIERS

Comme pour se repentir, Sonia se jette à corps perdu dans la cause des migrants. Elle sert des repas avec l’associatio­n Salam, lave le linge des réfugiés, les conduit à l’hôpital, met sa douche à dispositio­n... « Je me suis rendu compte que beaucoup de Calaisiens aident dans l’ombre », raconte Sonia. La transfuge suscite la méfiance des militants humanistes. « Certains disaient que j’étais raciste et que je le resterais. Avec le temps, ils ont compris que mon engagement était sincère. » Ces soupçons s’évaporent tout à fait lorsqu’en juillet Sonia n’hésite pas à défier les policiers qui expulsent plus de cinq cents personnes du principal camp de réfugiés, près de la zone portuaire.

La dissidente paie le prix fort pour sa rupture avec Sauvons Calais : son adresse est divulguée sur Twitter, elle reçoit des textos de menaces, ses pneus de voiture sont crevés. Mais elle ne plie pas : « En militant à Calais Ouverture et Humanité, j’ai perdu beaucoup de mes amis, mais j’en ai gagné davantage. »

Dans son salon, elle montre fièrement les photos : « Voici mes amis afghans qui ont habité ici cet été. Certains sont passés en Angleterre, d’autres sont retournés dans la “jungle” de Calais… » Et puis, en septembre, lors d’un spectacle de soutien aux migrants, Aamir est entré dans sa vie. Le bel Afghan de 23 ans était à Calais depuis cinq mois. Ils ont fait connaissan­ce, dans un anglais rudimentai­re, puis sont tombés amoureux. Sonia ne voudrait pour rien au monde qu’il quitte la France. Ça tombe bien, il y a renoncé.

 ??  ?? 1. Croix gammée arrondie qui rappelle l’insigne de la division SS Nordland, créée en 1943 par l’Allemagne nazie. 2. Réseau anarchiste transnatio­nal qui lutte pour la liberté de circulatio­n et l’abolition des frontières. À Calais, ces activistes...
1. Croix gammée arrondie qui rappelle l’insigne de la division SS Nordland, créée en 1943 par l’Allemagne nazie. 2. Réseau anarchiste transnatio­nal qui lutte pour la liberté de circulatio­n et l’abolition des frontières. À Calais, ces activistes...

Newspapers in French

Newspapers from France