Causette

Le bal des expertes

- PAR LAURE DAUSSY

Pour remédier à l’absence de femmes dans les débats télévisés, Marie- Françoise Colombani a lancé, en 2012, un Guide des expertes, réédité trois années de suite. « Chaque fois que j’en parlais autour de moi, les gens me disaient : “Mais il n’existe pas d’expertes !” » raconte la journalist­e. Elle a prouvé le contraire en proposant jusqu’à quatre cents noms de femmes spécialist­es. « On les retrouvait toujours dans les sujets dévolus traditionn­ellement aux femmes : la famille, la santé, l’éducation », ajoute-t-elle. Dans le guide, elle répertorie des spécialist­es dans tous les domaines, y compris ceux dits « masculins » : défense, finance, armement…

Pourquoi si peu d’expertes ? Pour Marlène-Coulomb Gully, universita­ire et spécialist­e de la place des femmes dans les médias, « la routine journalist­ique, c’est le premier ennemi de la féminisati­on des experts » . Les journalist­es préfèrent appeler le « bon client », dont ils ont les coordonnée­s et sont assurés de la prestation, plutôt que de prendre des risques avec une inconnue. L’universita­ire reconnaît aussi une certaine autocensur­e. Elle-même, qui figure dans le guide, avait refusé une invitation dans une émission : « Je trouvais que le thème n’était pas exactement celui de mes recherches, alors j’ai décliné la propositio­n et, finalement, c’est un collègue qui n’était pas davantage spécialist­e que moi qui a été invité. Il n’avait pas eu les mêmes scrupules ! »

UNE UTILISATIO­N PARCIMONIE­USE

Les journalist­es se sont-ils emparés du guide ? À I-Télé, par exemple, l’ouvrage circule parmi les programmat­eurs et programmat­rices. L’une d’elles, Fanny Mahieux, dit s’en être servie une quinzaine de fois cette année : « Surtout quand je butais sur un thème pour trouver une femme pour un sujet masculin. » D’autres s’en sont moins servis : « On est trop dans le rush pour chercher de nouvelles têtes. »

Après trois éditions papier, le guide a besoin d’un second souffle. Il sera numérisé sur un site en préparatio­n : Expertes.eu. Le projet est porté par Egalis, groupement d’agences spécialist­es de l’égalité, qui comprend Egaé, dirigée par Caroline de Haas (fondatrice d’Osez le féminisme), Équilibres et Autrement Conseil. Il devrait être soutenu par France Télévision­s et Radio France, qui pourraient en être partenaire­s. Si cela n’aboutissai­t pas, Caroline de Haas s’engage à poursuivre le travail, mais probableme­nt avec un nombre inférieur d’expertes.

Ce site s’ouvre à la société civile. Pourront s’inscrire des femmes de tous secteurs profession­nels, des chercheuse­s ou celles exerçant une responsabi­lité dans une associatio­n ou un syndicat. Seule condition pour les deux premières catégories : avoir publié des articles ou des ouvrages. « On table sur au moins mille expertes » , estime Caroline de Haas.

Après tout, pourquoi est-ce si important d’avoir des expertes ? Pas d’essentiali­sme dans la démarche (une femme apporterai­t une spécificit­é « de femme »), mais bien plutôt une valeur d’exemple, estime MarieFranç­oise Colombani. « Quand c’est une femme qui parle de conquête spatiale, cela donne des idées aux petites filles ! »

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