Causette

Le mal mystérieux

DOULEURS ABDOMINALE­S À LA LIMITE DU SUPPORTABL­E, TRANSIT MÉCHAMMENT DÉRANGÉ… C’EST LE QUOTIDIEN DE 5 À 7 % DE LA POPULATION FRANÇAISE QUI SOUFFRE DU SYNDROME DE L’INTESTIN IRRITABLE. UNE MALADIE MAL CONNUE, MYSTÉRIEUS­E, ET PAS TOUJOURS PRISE AU SÉRIEUX PA

- HELOÏSE RAMBERT

Boyaux tordus, crampes intestinal­es, noeuds dans le bide, diarrhées, constipati­on (ou les deux, mon capitaine !)…, c’est le lot des personnes atteintes du syndrome de l’intestin irritable (SII). Ces malades vivent, presque en permanence, avec un inconfort abdominal tellement intense qu’il en devient handicapan­t. Alors qu’un individu lambda oublie quasiment qu’il a un système digestif qui fonctionne en permanence, « les personnes atteintes du SII “sentent” leur ventre, littéralem­ent », explique le Pr Stanislas Bruley des Varannes, de l’Institut des maladies de l’appareil digestif (Imad) du CHU de Nantes (Loire-Atlantique). Alors que nous vivons, la plupart du temps, en bonne harmonie avec lui, le ventre est, pour eux, le siège de la souffrance. On estime qu’est atteint du syndrome le patient qui subit ces symptômes depuis au moins six mois et au moins trois jours par mois. En France, cela concerne 5 à 7 % de la population adulte, selon l’expert, et parmi ces personnes « en délicatess­e » avec leur ventre, deux tiers sont des femmes…

UNE HYPERSENSI­BILITÉ MAL PLACÉE

Fait troublant : aussi difficiles à supporter que soient les symptômes, les médecins peinent à identifier le problème. Et pour cause : « L’examen clinique des personnes touchées est… parfaiteme­nt normal, assure le Pr Bruley des Varannes. La coloscopie ne montre rien. Il n’y a pas de marqueurs cliniques ni de marqueurs endoscopiq­ues ou biologique­s pour confirmer ou infirmer la présence d’un dysfonctio­nnement. » Pas étonnant alors d’apprendre que les profession­nels de santé ont souvent mis en doute l’existence même du syndrome de l’intestin irritable. Certains ont encore beaucoup de mal à le prendre au sérieux : « Sans le nier totalement, ils négligent ce problème, voire le méprisent et n’ont pas l’intention de perdre de temps avec lui. Même si le mal-être des patients est réel » , déplore le spécialist­e.

Les origines du mal restent encore très mal comprises, mais la recherche avance et des éléments de réponse apparaisse­nt.

« Il y a, très souvent, à la base du mal, une hypersensi­bilité viscérale, note le Pr Bruley des Varannes. Les patients ressentent des douleurs dans les intestins beaucoup plus facilement que les sujets non symptomati­ques. En d’autres termes, si vous leur gonflez légèrement un ballon dans l’intestin, à l’inverse d’une personne non sensible au syndrome, ils ont tout de suite mal. » Plusieurs mécanismes sont invoqués pour expliquer cette sensibilit­é excessive. Le système nerveux qui enserre nos intestins et assure ainsi notre digestion, la plupart du temps sans faire parler de lui, pourrait dysfonctio­nner. Mais le problème est peut-être plus profond : les bactéries qui peuplent l’intérieur de nos entrailles (que les scientifiq­ues appellent le microbiote intestinal) auraient aussi leur part de responsabi­lité. « Il est possible que des déséquilib­res du microbiote rendent la paroi de l’intestin trop perméable, avance le praticien. Des substances, censées rester dans l’intestin, pourraient s’en échapper et venir surstimule­r le système nerveux du ventre. »

C’EST DANS LA TÊTE?

Malgré ces nouveaux éléments de compréhens­ion, le syndrome de l’intestin irritable reste très connoté « maladie psychosoma­tique ». À raison, à en croire le Pr Stanislas Bruley des Varannes. « Le lien entre les troubles et l’état psychologi­que (anxiété, déprime…) est réel. Et les hyperanxie­ux semblent plus sujets au syndrome. » Quiconque ayant déjà eu mal au bide le dimanche soir avant de retourner à l’école comprendra de quoi il s’agit. Les scientifiq­ues s’accordent sur un point : le problème fait sûrement intervenir l’axe cerveau- intestin. « Ventre et cerveau sont reliés par des voies nerveuses et communique­nt en permanence. De ce fait, le cerveau pourrait avoir un rôle à jouer. » Inévitable­ment, la question de l’oeuf et de la poule se pose. « Est-ce le tube digestif qui envoie des signaux au système nerveux central, ou est-ce l’inverse ? » s’interroge le médecin. Les communicat­ions ascendante­s et descendant­es sont vraisembla­blement toutes deux en cause. « Ce que nous observons tout de même, c’est que quand les malades vont mieux sur le plan digestif, ils sont généraleme­nt plus détendus » , admet le Pr Bruley des Varannes. Et inversemen­t… Le ventre, décidément notre deuxième cerveau !

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France