Causette

Au Caire, Le Ventre ne danse plus local

DANS LA CAPITALE MONDIALE DE LA DANSE DU VENTRE, LA PRATIQUE N’A PLUS LE VENT EN POUPE. LA MONTÉE DU PURITANISM­E RELIGIEUX ET LA CRAINTE DES CAIROTES LAISSENT LE CHAMP LIBRE À DES DANSEUSES VENUES DE L’ÉTRANGER, QUI DIVERTISSE­NT LE TOURISTE EN QUÊTE D’UN

- ISABELLE MAYAULT, AU CAIRE

Il est loin l’âge d’or des années 1940 où une danseuse du ventre pouvait être promue « danseuse nationale d’Égypte » par le roi Farouk. Cet art, qui a longtemps fait partie du patrimoine, n’a jamais été aussi décrié qu’aujourd’hui, dans ce pays où 80 % des femmes sont voilées. Depuis les années 1980, l’Égypte a changé. Plus pieuse, plus puritaine, elle ne laisse que peu de place à une carrière qui promet de séparer les futures danseuses de leur famille. « Aujourd’hui, une partie de la société égyptienne ne voit plus la danse du ventre comme faisant intrinsèqu­ement partie de sa culture » , analyse la sociologue Madiha el Safty, professeur­e à l’Université américaine du Caire. « Si elle tend à disparaîtr­e, ce n’est pas parce qu’il y a moins de touristes depuis la révolution, mais parce que, dans ce contexte de conservati­sme moral, les filles sont effrayées. »

DES CABARETS DEVENUS DES BOUGES

La marginalis­ation de la profession s’est en effet accentuée après la révolution de 2011. Avec l’arrivée au pouvoir des Frères musulmans en 2012, plusieurs cabarets, autrefois mythiques, de la rue des Pyramides, sont la cible d’incendies criminels. La même année, la chaîne du câble Altet, consacrée à la raqs al sharqi, nom arabe de la danse orientale, est interdite. À nouveau diffusée, elle reste décriée. Aucun doute, on ne rigole plus du tout avec les ondulation­s des poignées d’amour.

Aujourd’hui, la rue Mohamed-Ali, ancien coeur du divertisse­ment de la capitale, modelée sur la rue de Rivoli parisienne, est dans les limbes. Les cabarets ancienneme­nt légendaire­s sont devenus des

bouges infréquent­ables où danse et prostituti­on vont souvent de pair. Rue des Pyramides, même constat. Le public, entièremen­t masculin, vient en majorité des pays du Golfe. S’il existe un lieu où la danse du ventre résiste encore un peu, c’est lors des mariages, où elle reste un divertisse­ment familial. Et sur les bateaux, comme attraction pour touristes, où Japonais et Indiens, pour la plupart, parcourent le Nil en quête d’un folklore qui n’a plus grandchose à voir avec la réalité. Résultat, pour la première fois depuis la création de cet art, certaines danseuses étrangères sont devenues des stars du domaine. Détrônant parfois des tôlières du secteur. C’est une Arménienne, Safinaz, qui a récemment soufflé la première place à l’Égyptienne Dina au rang de vedette nationale.

Dans le très chic hôtel Mena House, l’ancienne danseuse Raqia Hassan reçoit le jour de son gala de fin d’année. Le spectacle confirme la tendance : sur la scène, une Chinoise de 5 ans, une Ukrainienn­e de 13 ans qui en fait 18, trois Russes et une Brésilienn­e d’une vingtaine d’années. Raqia Hassan admet, les dents serrées, que ses élèves sont en majorité étrangères : « Elles sont de plus en plus nombreuses. Les Égyptienne­s n’ont pas le droit de danser avant l’âge de 21 ans. Et l’enseigneme­nt se fait chez moi, parce que pour louer une salle, c’est devenu compliqué. » Luna, américaine, fait partie des étrangères qui ont percé. Elle se produit tous les soirs sur un bateau, dans le quartier huppé de Maadi. Cette diplômée de Harvard en relations internatio­nales s’est prise de passion pour la danse orientale, qu’elle pratique depuis 2004.

LA POLICE DES MOEURS VEILLE…

« Pour les Égyptienne­s, ce n’est pas un art. C’est une activité honteuse » , explique la jeune femme, une heure avant le début du spectacle, le visage éclatant de couleurs et de paillettes. « C’est pourquoi de plus en plus de filles arrivent de l’étranger. » Mais même pour elles, pas facile d’exercer. La police des moeurs veille au grain : « Ils ont débarqué un soir. Mon costume n’était pas aux normes : il fallait que le ventre soit couvert et l’ouverture de la jupe d’une certaine longueur. J’ai dû m’en débarrasse­r en vitesse… » Plus très sulfureuse la danse du ventre…

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