Causette

Marjane Satrapi

- PAR ARIANE ALLARD

CAUSETTE: The Voices est le premier film que vous réalisez sans l’avoir écrit…

Mais le cinéma américain MARJANESAT­RAPI: ne fonctionne quasiment que comme ça ! Regardez Coppola et Le Parrain : c’est l’adaptation d’un best-seller et pourtant c’est un film d’auteur. C’est ça le génie des producteur­s américains : trouver le bon réalisateu­r. Moi, quand on m’a proposé The Voices, je me suis dit : nom de Dieu, c’est quoi le genre de ce film ? Je n’avais jamais rien lu de pareil. J’ai été immédiatem­ent obsédée par cette histoire, alors qu’a priori un psychopath­e qui trucide des filles, ça n’est pas mon univers ! Ensuite, bien sûr, j’ai modifié certaines choses pour les rendre plus visuelles. Mais ça reste le scénario de Michael R. Perry.

Jerry, le personnage principal de votre film, est schizophrè­ne. N’est-ce pas cela, au fond, qui vous a intéressée chez lui? Davantage, même, que de vous mettre dans la tête d’un serial killer?

Oui, encore que je ne prétends pas

M. S.: avoir fait un film sur la schizophré­nie ! Mais c’est vrai qu’à la base Jerry est malade. D’ailleurs, il ne cherche pas à tuer ces femmes. Simplement, il ne voit pas les choses comme les autres. Il a une double perception…

Dans tous vos films, on retrouve ces allers-retours entre le réel et la fiction, le bien et le mal, l’humour et la tragédie…

C’est parce qu’il y a ce double en

M. S. : moi ! Ça me vient du zoroastris­me, la religion qui a précédé l’islam en Iran et qui fait profondéme­nt partie de notre culture. Le principe du zoroastris­me, c’est que l’esprit du bien et l’esprit du mal coexistent dans chaque être vivant. Ils sont opposés et jumeaux. Un peu comme le yin et le yang. Ainsi, quand j’étais petite et que je faisais une bêtise, ma mère me disait : c’est la mauvaise Marjane qui a fait ça. Ça déculpabil­ise, forcément ! Et ça donne une grande liberté… même si ça peut rendre un peu schizophrè­ne, aussi ! Vous prenez plaisir à bousculer les genres dans The Voices. Sur la forme: on passe du film de tueur en série à la comédie romantique. Et sur le fond: seuls les personnage­s féminins

provoquent l’action et assument la charge sexuelle de l’histoire…

Oui, mais ça n’est pas intellectu­alisé.

M. S.: Simplement, je voulais que l’on ait de l’empathie pour Jerry. C’était mon défi. Déjà que c’est un tueur, si, en plus, je l’avais présenté comme un pervers sexuel, ça n’aurait pas marché ! Donc j’ai décidé qu’il serait un petit garçon de 12 ans dans le corps d’un homme de 30 ans. Et qu’il serait passif tout le temps, même avec un personnage tout frêle comme celui de Lisa, l’une des femmes qui vient vers lui.

Ces femmes incarnent plusieurs types de féminités, dont certaines qu’on a peu l’habitude de voir sur grand écran…

Vous pensez au personnage de la psy,

M. S. : sans doute… C’est moi qui ai voulu qu’elle ait un certain âge. J’aime bien les femmes d’un certain âge. Elles se débarrasse­nt de la séduction, deviennent plus libres, plus indépendan­tes. On ne les voit pas assez au cinéma. Quant au personnage de Fiona, la belle Anglaise dont Jerry va tomber amoureux, je voulais une actrice qui incarne physiqueme­nt la féminité. C’est pour cela que j’ai choisi Gemma Arterton : elle est magnifique, une fille à la Sophia Loren. Et rien n’a été retouché chez elle !

Belle et atypique…

Voilà ! D’autant qu’elle est aussi intel

M. S.: ligente et drôle. Vous savez ce qu’a dit Sophia Loren, il y a quelques années ? « Je ne peux pas travailler à Hollywood parce que je suis trop sexy. » CQFD… C’est vrai que, là-bas, les actrices sont de plus en plus maigres. Plus elles montent en pouvoir, plus elles sont maigres. Comme s’il fallait qu’elles soient diminuées pour être acceptées. Comme s’il fallait, au fond, qu’elles restent des petites choses à protéger…

La place du féminin dans un monde masculin, c’est une question qui vous travaille?

Disons que c’est une question récur

M. S.: rente, puisque j’ai toujours travaillé dans des milieux où il y avait peu de femmes. Que ce soit dans la BD, l’animation ou le cinéma. Mais ça n’a jamais été un problème pour moi. Peut-être parce que j’ai su bien m’entourer. Et sans doute parce que je ne me suis jamais dit : je suis une fille, donc ce n’est pas possible. OK, les hommes et les femmes ont des corps différents, mais au niveau du cerveau, sûrement pas ! La preuve : quand je lis Flaubert, je me reconnais beaucoup plus que lorsque je lis Anaïs Nin ! Pour moi, c’est la culture patriarcal­e qu’il faut combattre, pas les hommes.

Depuis 2007, vous avez coréalisé un film d’animation (Persepolis) et un mélo (Poulet aux prunes), puis réalisé un road-movie (La Bande des Jotas) et aujourd’hui un conte macabre

(The Voices). Quelle piste avez-vous envie d’explorer la prochaine fois?

J’ai tout à apprendre. Mais j’aimerais

M. S.: bien réaliser un film de guerre ! Et une comédie musicale. Une comédie romantique aussi, où, à la fin, les héros se disent : c’est super de ne pas avoir d’enfants ! Et, enfin, un film avec une super-héroïne qui serait alcoolique. Parce que quand on a des super-pouvoirs et que l’on peut tout faire, on devient forcément alcoolique !

“ J’ai tout à apprendre. Mais j’aimerais bien réaliser un film de guerre, une comédie musicale, et romantique aussi… ”

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